Dans l’affaire Louis Vuitton c/ Google, la Cour de cassation a rendu le 20 mai 2008 un arrêt par lequel elle ne se prononce pas.
Il s’agit pourtant d’une étape extrêmement importante dans l’histoire du développement de la jurisprudence sur les liens sponsorisés.
La cour suprême a en effet décidé de poser des questions préjudicielles à la CJCE sur deux points : l’usage de la marque par le prestataire de liens sponsorisés et l’éventuel statut d’hébergeur de celui-ci (et donc du bénéfice de responsabilité aménagée qui en découle, cf art. 6.3 de la LCEN).
La Cour de Justice des Communautés est exactement interrogée en ces termes :
1) Les articles 5, paragraphe 1, sous a) et b) de la première Directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 , rapprochant les législations des Etats membres sur les marques et 9, paragraphe 1, sous a) et b) du Règlement (CE) n°40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire doivent-ils être interprétés en ce sens que le prestataire de services de référencement payant qui met à la disposition des annonceurs des mots clés reproduisant ou imitant des marques déposées, et organise par le contrat de référencement la création et l’affichage privilégié à partir de ces mots clefs, de liens promotionnels vers des sites sur lesquels sont proposés des produits contrefaisants, fait un usage de ces marques que son titulaire est habilité à interdire ?
2) Dans l’hypothèse où les marques sont des marques renommées, le titulaire pourrait-il s’opposer à un tel usage, sur le fondement de l’article 5, paragraphe 2 de la directive, et de l’article 9, paragraphe 1, sous c) du règlement ?
3) Dans l’hypothèse où un tel usage ne constituerait pas un usage susceptible d’être interdit par le titulaire de la marque, en application de la directive et du règlement, le prestataire de service de référencement payant pourrait-il être considéré comme fournissant un service de la société de l’information consistant à stocker des informations fournies par un destinataire du service, au sens de l’article 14 de la Directive 2000/31 du 8 juin 2000, de sorte que sa responsabilité ne pourrait être recherchée avant qu’il ait été informé par le titulaire de marque que l’usage illicite du signe par l’annonceur ?
Avant de voir l’aspect purement juridique de l’arrêt du 20 mai 2008, stratégiquement on peut considérer qu’à ce stade, c’est Google qui marque un point. Si évidemment rien n’est gagné, c’est une possibilité d’évolution de la jurisprudence qui peut se profiler, selon la teneur de la réponse que la Cour européenne apportera. Jusqu’à présent les juges français (au moins ceux de la France de l’intérieure ;-)) ont tenu rigueur à Google de ses agissements ou négligences quant au fonctionnement du système AdWords / AdSense, selon des fondements variables (contrefaçon ou responsabilité civile).
Je me réjouis de voir la Cour suprême rejoindre les préconisations que j’avais formulées dans un récent article publié dans la RLDI (Liens publicitaires : suggérer, est-ce contrefaire ?, RLDI n°36 (mars 2008), page 51). Pour résumer cet article j’indiquais en effet y procéder :
« à une analyse appuyée par un retour sur l’évolution de la position des tribunaux sur la responsabilité des prestataires de liens publicitaires. Dans le même numéro je vous recommande l’article d’Elisabeth Tardieu-Guigues : « Liens commerciaux : contrefaçon ou non ? A la recherche d’une solution convaincante… ». Si nous n’avons pas totalement la même lecture de la notion -cruciale- d’usage de la marque par la régie publicitaire, nos analyses conduisent à préconiser une harmonisation via une question préjudicielle (pour préciser encore les orientations données dans l’arrêt Céline du 11 septembre 2007, aff. C-17/06). »
Maintenant il est sans doute un peu plus dur d’anticiper la réponse de la CJCE (et la façon de l’interpréter)…
Télécharger l’arrêt de la Cour de cassation Chambre commerciale, 20 mai 2008 (Google France, Google Inc c/ Louis Vuitton Malletier).
Décisions antérieures :
(hat tip : Gilles)
Mises à jour : la Cour de cassation a en fait choisi de poser ces questions préjudicielles alors que d’autres affaires lui étaient soumises (CNRRH et la plus ancienne de toutes : Bourse des Vols) :
Voir également sur Juriscom : AdWords : la Cour de cassation en touche un mot à la CJCE , par Cédric Manara et Frédéric Glaize.