Le 15 janvier 2010, Ségolène Royal a procédé au dépôt d’une dizaine de demandes d’enregistrement de marques françaises, qui ne sont pas passées inaperçues (cf. par exemple : IP Sharing, Le Monde, AFP).
Multitude : ont ainsi été déposées en classes 16, 35, 38, 41 & 42 des expressions au singulier ou au pluriel, avec ou sans articles :
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Université populaire
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Universités populaires
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Université populaire participative
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Universités populaires participatives
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Université populaire de la fraternité
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Fête de la Fraternité
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Forum de la Fraternité
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Espoir à gauche
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L’Espoir à gauche
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Ordre juste
Inquiétudes : les demandes d’enregistrement de marques contenant l’expression « université populaire » ont suscité des réactions négatives : le Collectif « Indépendance des Chercheurs » a exprimé sa désapprobation, Patrice Leclerc (Secrétaire de l’université populaire des Hauts-de-Seine) s’est ému ouvertement et le président de l’Association des Universités Populaires de France a écrit à l’INPI (lettre reproduite sur ce site [1]).
Hébétude : globalement, on reproche à Ségolène Royal de contribuer ainsi à la « marchandisation et la privatisation du patrimoine collectif » et de faire obstacle à la liberté d’action des associations d’éducation populaire. Visiblement les détracteur de Ségolène Royal méconnaissent autant qu’elle le rôle, la nature et les limites des marques…
Promptitude à réagir : dans une lettre ouverte Kamel Chibli, secrétaire général de Désirs d’Avenir, explique que le dépôt de ces marques était justifié par la volonté de protéger un concept :
« Nous avons créé, en effet, à Désirs d’avenir, des Universités populaires participatives, dont nous tenons à préserver la qualité et empêcher que ce concept ne soit repris par des organismes peu scrupuleux, ou par des agences de communication, à des fins toute autre que le débat d’idées d’accès gratuit. »
Inexactitudes dans ces explications : pour autant, la propriété intellectuelle ne permet pas de protéger un concept. L’expression utilisée dans le communiqué n’est pas appropriée ; il faut sans doute comprendre que la protection dont il s’agit est celle des expressions qui constituent l’objet des marques en cause.
Inaptitude supplémentaire dans la logique du déposant de marque : rechercher cette protection spécifique pour préserver « le débat d’idées d’accès gratuit« . Or une marque est par définition un signe qui permet d’identifier des produits ou des services. Rien de plus. Sa protection est limitée : l’enregistrement de la marque ne permet d’empêcher que l’usage de ce signe dans la sphère commerciale (et sous certaines conditions qu’il n’est pas utile de développer ici). Face à un tel paradoxe, on peut se demander à quoi servent réellement ces dépôts de marques.
Vicissitudes renouvelées : une deuxième série de tollés a été soulevée à propos de la marque « fête de la fraternité », objet d’une lettre ouverte des représentants du Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire qui s’inquiètent de voir « l’histoire de France (…) faire l’objet de « labels » » et estiment que « le passé commun ne peut s’acheter » à l’INPI par un dépôt de marque.
Mansuétude ? Restent deux marques « (l’) Espoir à gauche », qui pourront amuser l’association éponyme, à savoir le courant politique animé par Vincent Peillon.
Somme toute, les auteurs de ce livre avaient eu une drôle d’intuition.
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[1] présentée comme un « recours » et déclarant faire « opposition » à l’enregistrement de la marque, mais qui ne pourra tout au plus être considérée par l’Institut comme de simples observations, telles que prévues par l’article L.712-3 du Code de la Propriété Intellectuelle. Le dépôt de telles observations ne rend pas celui qui les a formulées partie à une procédure -contrairement à l’engagement d’une opposition par exemple, qui ouvre une procédure inter partes-. Cette lettre reste juridiquement assez maladroite, invoquant « l’antériorité de l’usage » de l’expression litigieuse.