Le décompte jusqu’au premier arrêt « AdWord » de la CJUE (ex CJCE) continue.
Webmarklaw.com et le pMdM vont proposer pendant cette période des billets récapitulatifs et renvoyant vers diverses ressources sur les affaires de liens publicitaires en cours. Autant dire que la thématique des liens publicitaires va prédominer pendant quinze jours.
L’ordonnance du Président de la CJCE du 8 juillet 2008 a joint les trois affaires soumises par la de la chambre commerciale de la Cour de cassation (Google France, Google Inc. contre Louis Vuitton Malletier, affaire C-236/08 ; Google France contre Viaticum, Luteciel, affaire C-237/08 ; Google France contre CNRRH, Pierre-Alexis T., Bruno R., Tiger, franchisée Unicis, affaire C-238/08), les questions posées par les trois arrêts du 20 mai 2008 « étant connexes par leur objet« .
Si l’on encore en mémoire les questions préjudicielles posées dans ces trois affaires par la cour de cassation (sinon on peut les retrouver présentées parallèlement ici), les faits qui sont à la base de ces trois affaires sont à présent anciens. Aussi, avant de connaitre la position de la Cour Européenne, nous reviendrons sur les instances qui ont abouti à ce que la cour de cassation demande une interprétation des Directives Marques et Commerce Électronique.
On appréciera au passage la pertinence de la formulation des questions préjudicielles…
Voici donc ce qui historiquement est la première affaire de liens publicitaires : celle connue sous le nom de la marque « Bourse des vols », qui est l’une de celles invoquées. Comme à l’accoutumée, le pMdM rappellera d’ailleurs ci-dessous les marques en jeu, déposées par Luteciel ou Viaticum :
- « La bourse des vols » enregistrée sous le n°94547750
- « La bourse des vols », enregistrée sous le n°96643826
- « La bourse des voyages » enregistrée sous le n°96643827
- « 3615 BDV » enregistrée sous le n°96643821
- « 3615 Bourse des vols » enregistrée sous le n°96643823
- « 3615 Bourse des voyages » enregistrée sous le n°96643824
- « BDV » enregistrée sous le n°96643828
- « Bourse de vacances » enregistrée sous le n°97665276.
- « www.bourse-des-vols.com » enregistrée sous le n°97665214
- marque figurative « 3615 Bourse des vols », enregistrée sous le n°97665217.
Pour une fois, je ne propose pas de copie des marques, car -c’est le premier enseignement de cette rétrospective- ces marques ne figurent pas dans la base de données de l’INPI qui ne contient que les marques en vigueur. C’est-à-dire que Viaticum et Luteciel ne semblent pas avoir jugé bon de renouveler ces marques qu’ils invoquaient dans leur assignation du 18 décembre 2002…
13/10/2003 TGI Nanterre, 2ème chambre, Viaticum Luteciel / Google France
http://www.juriscom.net/jpt/visu.php?ID=367
Les faits :
La société Google France propose à l’annonceur d’utiliser son générateur de mots clés pour l’aider à choisir les mots les plus pertinents.
Ainsi à partir du mot « vol » le générateur propose une liste d’expressions autour de ce mot et spécialement « bourse des vols ».
Le constat de l’APP des 25 et 28 novembre 2002 :
(…)
Il en ressort qu’à la suite de la réclamation du président directeur général des sociétés Viaticum et Luteciel, « le mot bourse a été mis en négatif … cette procédure empêche l’apparition de liens commerciaux « Premium Sponsorship » lors d’une requête sur le mot bourse ».
Concernant le produit « Adwords », la société Google France prétend qu’un seul annonceur avait choisi « bourse des voyages » comme mot clé mais qu’il avait également choisi voyages comme mot clé en requête large si bien que son annonce serait apparue de la même façon même s’il avait pas choisi « bourse des voyages » ; la société Google France reconnaît que les mots « bourse » « voyage » et « vols » ont probablement été vendus dans les mêmes conditions. (…)
Le constat de l’APP du 7 février 2003 :
Lorsque le moteur de recherche Google est interrogé (…) sur « bourse des vols », il affiche un lien commercial « Premium Sponsorship » en haut de la liste des résultats et des liens commerciaux « Adwords » sur le coté, toujours en faveur d’annonceurs concurrents de la société Viaticum.
Le constat de l’APP du 7 mars 2003 :
Il démontre qu’à partir d’une même recherche (en l’espèce sur « anyway »), le site www.google.com n’affiche pas de lien publicitaire, à la différence du site www.google.fr où l’on trouve des petits pavés « Adwords ».
Le constat de l’APP du 14 avril 2003 :
(…) ce constat concerne des recherches sur google.fr à partir de « bdv » et il montre uu lien commercial « Adwords » renvoyant à un site concurrent du site « bourse des voyages » des sociétés Viaticum et Luteciel.
Le dispositif :
Dit que la société GOOGLE FRANCE a commis des actes de contrefaçon des marques « BOURSE DES VOLS », « BOURSE DES VOYAGES » et « BDV » au sens de l’article L.7132 a) du Code de la Propriété Intellectuelle ;
Condamne la société GOOGLE FRANCE à payer aux sociétés VIATICUM et LUTECIEL la somme de soixante dix mille euros (70 000€) en réparation du préjudice causé par l’usage illicite de leurs marques;
Interdit à la société GOOGLE FRANCE d’afficher des annonces publicitaires ‘au profit d’entreprises offrant les produits ou services protégés par les marques « bourse des vols » « bourse des voyages » et « bdv », lors de la saisie sur le moteur de recherches d’une requête reproduisant les marques précitées, et ce sous peine d’astreinte de mille cinq cent euros (1500 €) par infraction constatée passé le délai d’un mois à compter de la signification du présent jugement; (…)
Rejette le surplus (…) »
8/3/2004, TGI Nanterre, 2ème chambre, Viaticum, Luteciel / Google France
[Liquidation d’astreinte] http://www.legalis.net/jnet/decisions/marques/jug_tgi_nanterre_080304.htm
10/3/2005, CA Versailles, 12ème chambre 1ère section, Google France / Viaticum, Luteciel
http://www.foruminternet.org/specialistes/veille-juridique/jurisprudence/cour-d-appel-de-versailles-12e-chambre-commerciale-10-mars-2005.html (lien obsolète)
Extrait de la motivation :
Sur la contrefaçon :
(…) Considérant qu’en l’espèce, il est attesté par les constats de l’APP qu’ont été utilisés les mots-clés “bourse de voyages”, “bourse des vols” et “bdv” permettant de voir s’afficher les liens commerciaux des concurrents des sociétés VIATICUM et LUTECIEL ;
Considérant que ces mots-clés sont la reproduction des marques “BDV”, “la bourse des vols”, “La Bourse des Vols” et “la Bourse des Voyages”, dès lors que l’omission de l’article ou l’emploi de lettres minuscules ou majuscules sont des détails insignifiants aux yeux du consommateur moyen ;
Considérant qu’il y a imitation des autres marques dès lors que l’omission des chiffres “3615” ou des lettres “com” que tout consommateur rattache, les premiers à un service Minitel, les secondes à un service Internet, ne peut, surtout lorsque les signes contrefaisants sont employés sur l’un de ces moyens de communication, qu’induire le public en erreur sur les liens entre ces signes et les marques ;
Que la contrefaçon par imitation est pareillement établie, alors même que l’une des marques (3615 Bourse des Vols) est une marque semi-figurative, la confusion dans l’esprit du public existant de la même manière ;
Qu’il s’ensuit que l’élément matériel de la contrefaçon est établi ;
Sur la responsabilité de la société GOOGLE France :
Considérant que la société GOOGLE FRANCE tentant d’opérer une confusion entre son activité de moteur de recherches et celle de prestataire de positionnement payant, il est nécessaire de rappeler que c’est en cette seconde qualité et en elle seule que sa responsabilité est recherchée ;
Que sont dès lors vaines ses tentatives de se voir reconnaître le bénéfice de dispositions légales ou jurisprudentielles applicables aux intermédiaires techniques ;
Que de même, sont inopérantes ses explications techniques censées justifier son impuissance à empêcher les agissements répréhensibles de ses clients ou à faire cesser leurs conséquences dommageables ;
Qu’il n’existe en effet aucun cas de force majeure susceptible de l’exonérer de sa responsabilité, dès lors qu’il est avéré que deux autres prestataires dans le domaine du positionnement payant, les sociétés OVERTURE et ESPOTTING, confrontées à la même difficulté, ont su y remédier rapidement, et que la société GOOGLE FRANCE est parvenue, quoiqu’avec retard, à le faire également ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 121-3 du Code pénal, il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre ;
Que, conformément à l’article 339 de la loi n°92-1336 du 16 décembre 1992, les délits non intentionnels prévus par des textes antérieurs à l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal (ce qui est le cas de la contrefaçon de marque), ne sont constitués que s’il est rapporté la preuve d’une imprudence ou d’une négligence ;
Considérant qu’en l’espèce, l’intention frauduleuse de la société GOOGLE FRANCE, laquelle n’est pas l’auteur principal du délit, mais le complice par fourniture de moyens [à rapprocher des conclusions de l’AJ, spécialement §83 et §120], ne peut résulter du seul fait que l’élément matériel est constitué ;
Considérant que la société GOOGLE FRANCE, qui ne peut opposer aux titulaires des marques contrefaites aucune contrainte économique ou technologique, laquelle résulte de son propre choix, a commis des fautes à trois niveaux ;
Considérant qu’en premier lieu, elle est fautive pour n’avoir effectué aucun contrôle préalable des mots-clés réservés par ses clients, et la simple invitation qu’elle leur adresse de ne pas préjudicier aux droits des tiers est une garantie illusoire ;
Que certes, la société GOOGLE FRANCE ne peut être tenue à une obligation de surveillance générale concernant la sélection de mots-clés par les exploitants de sites référencés et que par ailleurs, les marques des sociétés VIATICUM et LUTECIEL sont faiblement distinctives ;
Qu’il n’empêche que la société GOOGLE FRANCE doit être en mesure d’interdire l’utilisation de mots-clés manifestement illicites, tels ceux qui sont contraires aux bonnes mœurs ou qui contrefont des marques notoires ou connues d’elle ;
Que dans le cas présent, elle connaissait ou aurait dû connaître les marques des sociétés intimées, lesquelles sont clientes de son programme Adwords et utilisent leurs marques dans le cadre de leurs campagnes publicitaires ;
Considérant qu’en second lieu, la société GOOGLE FRANCE, alors même qu’elle aurait légitimement ignoré que les sociétés VIATICUM et LUTECIEL étaient titulaires des marques litigieuses, ne pouvait pas proposer dans son outil de suggestion de mots-clés l’achat des mots-clés “bourse aux voyages” ou “bourse de voyages” ou encore “bdv com”, sous prétexte qu’ils figuraient parmi les plus souvent demandés, sans s’être livrée à une recherche sérieuse des droits éventuels de tiers sur ces mots ;
Considérant qu’en troisième lieu, la société GOOGLE FRANCE avait l’obligation, dès lors qu’il lui était signalé l’utilisation de mots-clés frauduleux, de mettre un terme sans délai et complètement, aux agissements contrefaisants ;
Qu’en fait, la société GOOGLE FRANCE, prétextant qu’elle ne pouvait pas interdire l’usage de mots tels que “vol” ou “voyage”, ce qui est vrai, a beaucoup tardé, ce qui a permis que, même après le jugement du 1 3 octobre 2003, il était encore possible à partir des mots-clés à peine modifiés (un singulier à la place du pluriel par exemple) d’entrer en contact avec les liens commerciaux des concurrents des sociétés VIATICUM et LUTECIEL ;
Considérant que les fautes de la société GOOGLE FRANCE sont ainsi avérées et qu’elle ne doit donc pas être exonérée de sa responsabilité dans la contrefaçon commise ;
Extrait du dispositif :
. Confirme le jugement du 13 octobre 2003 en toutes ses dispositions.
. Réforme le jugement du 8 mars 2004 quant au montant de l’astreinte liquidée.
Statuant à nouveau,
. Liquide l’astreinte à la somme de 9.000 euros (neuf mille euros) et condamne la société Google France à payer cette somme aux sociétés Viaticum et Luteciel.
20/5/2008, Cour de cassation, chambre commerciale, Luteciel, Viaticum / Google France
http://www.legalis.net/jurisprudence-decision.php3?id_article=2314
Extrait de la motivation :
Sur le troisième moyen, pris en sa quatrième branche
Vu l’article 234 du Traité instituant la Communauté européenne ;
Attendu que l’arrêt retient que la société Google France a commis des actes de complicité de contrefaçon, et condamne cette société pour contrefaçon, aux motifs que cette dernière doit être en mesure d’interdire l’utilisation de mots-clés manifestement illicites, tels ceux qui sont contraires aux bonnes moeurs ou qui contrefont des marques notoires ou connues d’elles, qu’elle connaissait ou aurait dû connaître les marques des sociétés plaignantes, clientes de son programme Adwords, et qui les utilisent dans le cadre de leurs campagnes publicitaires, et que, lors même que la société Google France l’aurait légitimement ignoré, elle ne pouvait pas proposer des mots-clés reprenant les marques, sous prétexte qu’ils figuraient parmi les plus souvent demandés, sans s’être livrée à une recherche sérieuse des droits éventuels de tiers sur ces mots ;
Attendu que se trouvent ainsi posées diverses questions relatives à l’existence d’une contrefaçon de marque en cas d’utilisation par un tiers non autorisé d’un signe reproduisant ou imitant une marque enregistrée, afin de proposer sur internet des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l’enregistrement de cette marque, et, corrélativement, à une possible complicité du prestataire de services de référencement payant sur internet, dans la mesure où il serait ainsi fait un usage de la marque que son titulaire serait habilité à interdire, sur le fondement de l’article 5, paragraphe 1, sous a) et sous b) de la première Directive 8911041CEE du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques ;
Attendu qu’il est constant que le prestataire de service de référencement payant ne fait pas usage du mot-clé reproduisant ou imitant la marque pour désigner ses propres produits et services ;
Attendu, en outre, qu’il n’est pas prétendu que les sites désignés par les liens commerciaux incriminés proposent à la vente des produits ou services sous le signe reproduisant ou imitant la marque dont la protection est réclamée ;
Attendu que la Cour de justice des Communautés européennes a jugé dans l’arrêt Adam Opel (25 janvier 2007, C-48/05), que l’interprétation selon laquelle les produits et services visés à l’article 5, paragraphe 1, sous a) de la directive sont ceux commercialisés ou fournis par le tiers, découle du libellé même de cette disposition, en particulier des termes “usage pour des produits ou des services”, et que l’interprétation contraire aboutirait à ce que les termes “produits et services” employés à l’article 5, paragraphe 1, sous a) de la directive désignent le cas échéant les produits ou les services du titulaire de la marque, alors même que les termes “produit” et “service” figurant dans l’article 6, paragraphe 1, sous b) et sous c) de la directive visent nécessairement ceux commercialisés ou fournis par le tiers, conduisant ainsi, contre l’économie de la directive, à interpréter les mêmes termes de façon différente selon qu’ils figurent à l’article 5 ou à l’article 6 ; que la question de savoir si les produits ou services pouvaient être ceux d’un autre tiers n’a pas été posée ;
Attendu que la Cour a par ailleurs décidé (11 septembre 2007, Céline, C-17/06), que, même en l’absence d’apposition, il y a usage “pour des produits ou des services”, au sens de l’article 5 paragraphe 1, lorsque le tiers utilise ledit signe de telle façon qu’il s’établit un lien entre le signe constituant la dénomination sociale, le nom commercial ou l’enseigne du tiers et les produits commercialisés ou les services fournis par le tiers, et que l’usage par un tiers qui n’y a pas été autorisé, d’une dénomination sociale, d’un nom commercial ou d’une enseigne identique à une marque antérieure dans le cadre d’une activité de commercialisation de produits identiques à ceux pour lesquels la marque a été enregistrée constitue un usage que le titulaire de ladite marque est habilité à interdire conformément à l’article 5, paragraphe 1, sous a) de la directive s’il s’agit d’un usage pour des produits qui porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque ; qu’en l’espèce cependant, le signe n’a pas été utilisé à titre de dénomination sociale, de nom commercial ou d’enseigne ;
Attendu qu’il existe une difficulté sérieuse quant au point de savoir si le prestataire qui propose un service de référencement payant sur internet, tel que celui décrit ci-dessus, fait un usage de marque que le titulaire est habilité à interdire sur le fondement des articles 5, paragraphe 1, sous a) et sous b) de la directive ;
Attendu que l’article 5 de la directive procédant à une harmonisation complète des règles relatives aux droits conférés par la marque et définissant ainsi les droits dont jouissent les titulaires de marque dans la Communauté (CJCE, 20 novembre 2001 Zino Davidoff et Levi Strauss, C-414/99 à C416/99, et la jurisprudence citée) cette question, qui se pose en termes similaires dans tous les Etats membres, reçoit des réponses divergentes ;
Qu’il convient donc de saisir la Cour de justice d’une question préjudicielle ;
Extrait de la décision :
. Renvoie à la Cour de justice des Communautés européennes aux fins de répondre aux questions suivantes :
1°/ L’article 5, paragraphe 1, sous a) et sous b) de la première Directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques doit-il être interprété en ce sens que le prestataire de service de référencement payant qui met à la disposition des annonceurs des mots-clés reproduisant ou imitant des marques déposées, et organise par le contrat de référencement la création et l’affichage privilégié, à partir de ces mots clés, de liens promotionnels vers des sites sur lesquels sont proposés des produits identiques ou similaires à ceux couverts par l’enregistrement de marques, fait un usage de ces marques que son titulaire est habilité à interdire ?
2°/ Dans l’hypothèse où un tel usage ne constituerait pas un usage susceptible d’être interdit par le titulaire de la marque, en application de la directive et du règlement, le prestataire de service de référencement payant peut-il être considéré comme fournissant un service de la société de l’information consistant à stocker des informations fournies par un destinataire du service, au sens de l’article 14 de la Directive 2000/31 du 8 juin 2000, de sorte que sa responsabilité ne pourrait être recherchée avant qu’il ait été informé par le titulaire de marque de l’usage illicite du signe par l’annonceur ?