Il y a quelques mois, l’AFNIC avait saisi l’occasion du toilettage législatif sur ses attributions, pour retirer à l’OMPI la gestion des procédures alternatives de litiges sur les noms de domaine en .fr.
Ce faisant, l’AFNIC a privé les ayant-droits de la compétence et de l’expérience des experts agréés par le Centre d’Arbitrage et de Médiation de l’OMPI, en rapatriant cette prérogative dans son giron. On pouvait grincer des dents, surtout en ayant en mémoire l’expérience PREDEC.
La première décision mettant en œuvre la procédure dénommée Syreli opposait une société à son ancien gérant. Celui-ci avait réservé le nom de domaine litigieux avant que la société soit immatriculée, alors qu’il « avait mandat d’agir en tant que gérant au nom de l’entreprise Infragenius », selon les dires de cette dernière. Lorsque le gérant est devenu ancien gérant, il est resté avec le nom de domaine entre les mains.
L’engagement de la procédure a conduit cette personne à exprimer son accord sur le transfert du nom de domaine litigieux. L’AFNIC n’a eu qu’à entériner l’accord entre les parties et c’est ce qu’elle a fait. Jusque là, rien de palpitant : la solution était pliée d’avance.
Mais une partie de la décision comporte de quoi sauter au plafond.
Reprenons les éléments du litige plus clairement et selon une présentation chronologique :
- 25 juin 2010 à 05:42 : réservation du nom de domaine infragenius.fr
- 16 août 2010 : immatriculation de la société Infragenius
- 17 septembre 2011 : dépôt de la marque française 113 859 668
- 18 septembre 2011 : dépôt de la marque française 113 859 685
Première constatation évidente : le nom de domaine est antérieur à tous les droits invoqués.
Ah tiens !…
Deuxième erreur traduisant l’absence d’attention sur la chronologie : les marques n’ont pas été déposées « deux mois après la création du nom de domaine », mais plus d’un an après. Passons.
A partir de ces quelques éléments, par un lien de cause à effet mystérieux, il est conclu que le « Réquérant avait un intérêt à agir ».
Sans droits antérieurs, ni autre explications ?
L’intérêt à agir (condition d’action visée à l’article 31 du Code de procédure civile) réside dans l’importance qui, s’attachant pour le demandeur à ce qu’il demande, le rend recevable à le demander en justice, si cette importance est assez personnelle, directe et légitime (Vocabulaire juridique, G. Cornu).
En réalité, il est dans l’intérêt de la société Infragenius de se voir attribuer le nom de domaine en cause (puisque ce nom est identique à sa dénomination sociale), mais, pour de très évidentes raisons chronologiques, cet intérêt n’a rien à voir avec une éventuelle atteinte aux droits de propriété industrielle énumérés par l’AFNIC. La problématique juridique concerne la reprise des actes accomplis avant l’immatriculation de la société (sur ce sujet voir l’arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 2 février 2010, n° 09-13405, commenté par Jérôme Bonnard).
Enfin, la partie la plus amusante de toute cette histoire.
En général, dans les billets du pMdM, il y a la copie des marques en cause. C’est facile : la base de données de l’INPI est en accès libre. Dans le cas présent l’Afnic n’a pas eu à les rechercher : les marques faisaient parties de pièces de la plainte.
Regardez bien les détails des copies des marques ci-dessus (extraites de la base de données de l’INPI au 18 janvier 2012) : les marques invoquées dans cette procédure n’appartiennent ni au demandeur, ni au défendeur, mais à un tiers !
Et pour finir sur une note plus légère, comment ne pas voir dans la description de la marque semi-figurative 3859668 un clin d’œil à l’AFNIC ?
plume bleu symbole de l’excellence, du travail, de l’inspiration et de l’expression du talent. en vert, une lettre double representant le « i » et le « G » des deux mots (infra et genius) contractés pour donner la marque INFRAGENIUS qui elle signifie: le genie des infrastructure. (sic)
Cher Monsieur Glaize,
Merci d'avoir montré de l'intérêt à la première décision SYRELI ;
A la lecture de votre examen, nous avons effectivement constaté quelques imperfections dans les informations qui ont été publiées dans la décision rendue.
Ainsi, nous notons un manque de clarté sur la chronologie des événements ( date de création versus date de renouvellement ), ainsi qu'une erreur de saisie sur le délai lui-même ( mois versus an).
Bien évidemment, le titulaire des marques que vous avez identifié comme un "tiers" au dossier n'est autre que le gérant de la société requérante – élément transmis au dossier, public et vérifié par nos soins.
Enfin, je prends note de vos commentaires sur la recevabilité de la demande, ainsi que la notion d'intérêt à agir.
Je me tiens à votre disposition si vous désirez aborder de nouveau le sujet de vive voix .
Isabel Toutaud
Directrice Juridique de l'AFNIC
Merci pour votre commentaire.
Je n'ai pas envie d'épiloguer, mais j'ajouterais juste une remarque :
la distinction entre le patrimoine du gérant et celui de la société était justement le point de départ de ce litige…
Bonjour,
encore un déposant qui dépose une marque en pensant peut être que cela va "tout solutionner" et que cela aura une incidence dans le règlement du litige et qui met la copie des dépôts de marques au dossier de sa plainte !!!
…. et en plus qui la dépose par la personne physique et non au nom de la société….
en résumé toutes les erreurs à ne pas commettre !!!
petite remarque après avoir lu la décision dans son intégralité…… En quoi est ce "une décision" puisque le titulaire du nom de domaine avait décidé de transmettre le nom de domaine à la société…
en fait, la commission SYRELI ne fait qu'entériner et (a peut être participer à la finalisation) de l'accord amiable….
en tout cas, encore merci et bravo d'avoir mis en lumière cette décision,
c'est toujours enrichissant pour tout le monde 😉 pour l'AFNIC,
cordialement,
Agnès BOTHUYNE
Cher Frédéric il semble que vous vous soyez fait une nouvelle (?) amie 🙂
Merci pour cette analyse en tous les cas.
Et merci à l'AFNIC de réagir en direct. Je trouve cela particulièrement salutaire.
Bonjour,
Je suis Avocat au barreau de Tunisie.Je viens d'être nommé "arbitre" près l'INTT notre régulateur national en télécommunication.
Je suis avec intérêt ces modes alternatifs de résolution des conflits relatifs aux noms de domaine.
En Tunisie, nous sommes en train de mettre en place une procédure alternative dans ce domaine en s'inspirant des meilleurs pratiques comparées.
Ma question est de connaitre votre avis sur la qualification juridique de cette décision. est elle une sentence arbitrale, ou bien une décision administrative?
votre avis me sera d'une grande aide.
Bien à vous!
Bonjour,
Sur la qualification de sentence arbitrale, je pense qu'on peut l'écarter si on transpose à la procédure SYRELI un arrêt que la cour d'appel de Paris a rendu à propos du mécanisme de l'UDRP : http://www.domainesinfo.fr/chronique/40/emmanuel-…
Sur la qualification de décision administrative (avec ce que cela peut impliquer notamment pour les recours), la question reste ouverte…