Un arrêt de la cour d’appel de Paris rendu dans une procédure en référé (12 Septembre 2012) comporte deux points de droit intéressants.
L’affaire en question donne l’occasion de ressortir le bon vieux cliché de David contre Goliath. D’un coté la sàrl Circus, au capital de 10.000 euros et immatriculée en 2008, intervient dans le domaine de la « création de logiciels et d´effets visuels numériques pour le cinéma, les films d´animation, la publicité, l´habillage TV, internet ». De l’autre coté du ring, rien de moins qu’Apple Inc. Le petit français a déposé la marque LION tout juste un an avant le géant américain.
La décision retient l’attention quant à la la stratégie consistant à racheter des droits antérieurs en cours d’instance et quant à la nature de la sanction prononcée, ou plutôt de ce que le juge des référés refuse de prononcer.
Si dans un billet de 2011 qui reprenait les informations de l’AFP, j’avais déjà donné une chronologie des faits, il n’est pas inutile d’en rappler l’essentiel (en faisant ici abstraction des produits visés par les marques en cause).
- 6 Avril 2010: Circus dépose une marque LION à l’INPI
- 6 Avril 2011: Apple dépose une marque LION à l’OHMI
- 18 mai 2011: Circus adresse une lettre de mise en demeure à Apple
- Juin 2011: Apple a commence à utiliser la marque LION sur son site web
- 7 et 8 Juillet 2011: Circus assigne Apple en référé, visant les dispositions de l’article L. 716-6 du Code de la propriété intellectuelle.
- 2 Septembre 2011: Apple acquiert la marque internationale 781933 (qui désigne la France) associant le terme LION à un dessin d’empreinte de patte.
- 2013 : lancement prévu par Circus des produits sous sa marque LION
Cette acquisition de droits antérieurs à la marque invoquée est vue d’un mauvais oeil par les magistrats et, au final, ne permet pas de faire échec à l’action. L’arrêt énonce que: « l’acquisition d’une marque en cours d’instance, dans le seul but de faire échec à l’action en contrefaçon engagée caractérise une riposte frauduleuse« .
Une telle solution n’est pas inédite : le principe a déjà été énoncé (CA Versailles, 14 Juin 2001; CA Paris 2 Juillet 2004; CA Paris 7 Décembre 2011). On peut observer que le moment et, plus généralement, les circonstances ainsi que la finalité de l’acquisition de droits antérieurs apparaissent déterminants : après l’assignation (voire après une menace d’action) cette stratégie reste vaine. Mais s’il s’agit simplement de consolider des droits, avant tout éventuel contexte litigieux, l’acquisition ne peut être suspecte. Typiquement (et idéalement), le rachat de droits antérieurs intervient dans la phase de lancement d’un projet, lorsque l’analyse des recherches d’antérioté permet d’identifier une marque intéressante pour servir de bouclier défensif vis à vis des droits moins anciens.
Ainsi dans le cas présent, les droits antérieurs sont bien ceux dans l’escarcelle de la société française. Dès lors, le juge constate l’atteinte aux droits attachés à la marque de Circus.
Toutefois le magistrat (qui statue donc plus d’un an après le déploiement de la version d’OSX identifiée par le terme LION et avant l’exploitation prévue par Circus de sa marque LION) refuse de prononcer les mesures d’interdiction sollicitées. Selon l’arrêt, faute d’exploitation de la marque du demandeur, « la mesure d’interdiction serait disproportionnée » et « l’utilisation par Apple du terme Lion ne lui occasionne aucun préjudice autre que l’atteinte à la marque en tant que telle, à laquelle l’allocation de dommages et intérêts à titre provisionnel constitue une réponse proportionnée« .
On peut s’interroger sur la clémence dont a fait preuve le juge des référés : en voulant prononcer une mesure proportionnée, n’a t’il pas ajouté de façon purement prétorienne une nouvelle condition à l’article L.716-6, à savoir l’exploitation par le demandeur de la marque invoquée ? La distinction opérée par le juge entre « l’atteinte à la marque en tant que telle » et l’atteinte à … autre chose (mettons la marque exploitée) serait probablement plus pertinente si on s’intéressait à la la détermination du montant des dommages et intérêts visant à réparer le préjudice. Mais l’essence même du droit attaché à la marque est un monopole : le droit d’interdire l’usage dans la vie des affaires d’un signe identique ou similaire lorsqu’il existe un risque de confusion (article 5.1 de la Directive). Or en l’espèce cette faculté d’interdire est appréhendée par le juge comme la sanction de l’atteinte au droit, ce qui me semble résulter d’une confusion.
De même reste lettre morte la demande de communication d’informations sur les ventes d’Apple en vue d’évaluer le préjudice subi. Le refus d’octroyer ces mesures est justifié d’une façon maladroite, qui met à mal la cohérence globale de l’arrêt : le juge souligne qu’il n’est « pas établi que le dépôt de la marque Lion par Circus, ait eu la moindre incidence sur la décision des consommateurs d’acquérir la nouvelle version du système d’exploitation des ordinateurs Apple, qui ne vise pas le même public que celui auquel Circus, spécialisée dans les logiciels graphiques, s’adresse ». Est-ce bien le problème ?