Deux arrêts rendus parallèlement le 12 mars 2020 par le Tribunal de l’Union Européenne (TUE) se sont prononcés sur la validités de modèles d’emballages alimentaires représentés avec la nourriture qu’ils sont censés contenir.
L’intérêt de ces décisions réside dans la façon -un peu surprenante- dont seuls certains des éléments représentés sont pris en compte pour l’appréciation du caractère individuel des modèles en cause.
La relation entre la partie et le tout est une problématique qui se rapproche de celle des modèles partiels, lesquels ont donné lieu à une résolution de l’AIPPI en 2018. On attend par ailleurs la réponse à des questions préjudicielles très importantes concernant les modèles partiels lorsqu’il s’agit de ceux qui ne sont pas enregistrés.
Les modèles ci-dessous, détenus par la même société, ont été annulés pour défaut de caractère individuel, en raison de la divulgation de modèles antérieurs portant sur des emballages alimentaires dont on pouvait voir qu’ils contenaient d’autres aliments, à l’aspect différent de ceux présents dans les modèles en jeu.
Ce faisant, le Tribunal a donc accordé une importance particulière à une partie des modèles (les emballages à proprement parler), pour en écarter totalement une autre (les aliments représentés), laquelle n’avait pourtant pas été explicitement exclue de la protection revendiquée par le déposant.
Il suffit de voir les modèles en cause -et donc l’importance de l’aspect des aliments dans l’impression visuelle globale- pour comprendre à quel point ceci est troublant.
Dans l’affaire T-352-19, la validité du modèle n°002022772-0001 était mise à mal par la divulgation antérieure d’un visuel d’emballage dit « Canpeel ».
Dans l’affaire T-353/19, il était question de la validité du modèle n°1819558-0002 au regard des antériorités constituées par les visuels d’emballage divulgués par la publication du modèle communautaire n°270533-0001 et par un autre visuel d’emballage, portant la marque Bering.
Le postulat du Tribunal de l’Union Européenne suppose une hiérarchisation des éléments représentés dans l’enregistrement de ces dessins & modèles.
On est donc tenté d’examiner plusieurs principes qui auraient pu conduire à une solution différente, après avoir rappelé la teneur de ces décisions.
I) Teneur des décisions
Les actions en nullité contre chacun des modèles avaient été écartées devant la Division d’Annulation, mais avaient prospéré devant la Troisième Chambre de Recours de l’EUIPO. Le Tribunal de l’Union Européenne se range aux côtés de la Chambre de Recours en admettant la pertinence des antériorités pour détruire le caractère individuel des modèles en cause.
Compte tenu du parallélisme des deux arrêts rapportés, ne sont cités ci-après que des extraits de la motivation de la décision rendue dans l’affaire T352/19.
Dans son arrêt, le Tribunal valide les constatations de la Chambre de Recours, sur la bases desquelles l’impression d’ensemble devra être évaluée (notons au passage que si l’expression « test en quatre étapes » n’est pas employée, ce sont bien les trois étapes préalables à l’appréciation de l’impression d’ensemble qui sont considérées). Il est donc retenu :
(…) que le secteur pertinent par rapport auquel il convenait d’identifier l’utilisateur averti du dessin ou modèle contesté était le secteur industriel des emballages pour aliments.
(…) que, eu égard à la fonction des produits dans lesquels il était destiné à être incorporé, à savoir des emballages pour aliments, l’utilisateur averti du dessin ou modèle contesté était, d’une part, le « professionnel de l’industrie agroalimentaire » qui remplit le récipient d’aliments, notamment de conserves de poisson, et, d’autre part, le « consommateur moyen de conserves », qui ouvre le récipient pour en consommer le contenu.
(….) que le degré de liberté du créateur du dessin ou modèle contesté était élevé, dans la mesure où les aliments peuvent être conservés dans des emballages ayant des apparences différentes qui résultent de l’utilisation de formes et de matériaux différents, sans que la fonction du produit en soit limitée.
Arrêt rendu dans l’affaire T352/19, paragraphe 21.
A) le secteur pertinent
C’est tout spécialement le premier de ces trois points qui a été disputé.
Par secteur pertinent on peut comprendre ici produit pertinent.
La question centrale dans ces affaires est donc : de quel(s) produit(s) parlons nous ? S’agit-il d’emballages alimentaires avec les aliments qu’ils contiennent ou bien d’emballages seuls ?
A ce propos, la requérante soutenait principalement que :
- si l’indication du produit et la classification de celui-ci font état de ce que le dessin ou modèle contesté vise des « emballages pour aliments », cela n’exclut pas que la protection dudit dessin ou modèle soit étendue au contenu des emballages en question, étant donné que ce contenu est visible.
- l’article 3.2 du Règlement 2245/2002 dispose que « la classification des produits est effectuée à des fins exclusivement administratives. » . La chambre de recours aurait erronément étendu le champ d’application de la classification des produits de manière à influer sur l’étendue de la protection du dessin ou modèle contesté.
Le Tribunal rejette catégoriquement les arguments de la requérante.
Il ne se penche pas sur l’article 3.2 du Règlement n°2245/2002 ; ce sont les dispositions de l’article 36.6 du Règlement n°6/2002 dont la portée est relativisée par la motivation de l’arrêt :
(…) conformément à l’article 36, paragraphe 6, du règlement no 6/2002, [la classification] ne porte pas atteinte à l’étendue de la protection du dessin ou modèle en tant que tel, il ne saurait être exclu, ainsi que l’EUIPO et l’intervenante le soutiennent à juste titre, que celle-ci puisse effectivement contribuer à définir l’impression globale produite sur l’utilisateur averti par ce dessin ou modèle afin d’évaluer s’il est pourvu de caractère individuel par rapport à un autre dessin ou modèle antérieur.
paragraphe 28.
Le Tribunal rappelle que « l’identification du produit précis dans lequel est incorporé un dessin ou modèle est pertinente pour l’appréciation de son caractère individuel« . Mais ce principe n’est pas contesté. C’est l’identification du produit de l’espèce qui pose problème.
Le Tribunal affirme à ce propos que « la présence d’aliments visibles dans les produits dans lesquels le dessin ou modèle contesté est destiné à être incorporé parvient tout au plus à mieux illustrer leur destination » (paragraphe 31).
Le second argument de la requérante est également balayé par référence à ce qui a déjà été retenu concernant la nature du produit auquel le dessin ou modèle s’applique. Plutôt qu’une explication articulée sur une logique explicite, le TUE offre une affirmation :
(…) Or, (…), la protection conférée par le dessin ou modèle contesté porte sur son apparence, en ce qu’il est destiné à être incorporé dans des emballages pour aliments pourvus de certains composants avec des caractéristiques précises, à savoir un récipient en métal, muni d’un couvercle transparent avec une languette translucide. Les aliments qui y sont contenus ne doivent, dès lors, pas être pris en considération aux fins de l’appréciation de l’« impression globale » à laquelle l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 se réfère.
paragraphe 33
B) l’utilisateur averti (et sa perception du produit du secteur pertinent)
La motivation qui porte sur la définition de l’utilisateur averti et sa perception du produit continue dans la même veine et reste focalisée sur l’exclusion des aliments représentés dans l’enregistrement du modèle. C’est dire si ce point est essentiel.
La requérante soutient que chacun des deux personnages identifiés comme étant l’utilisateur averti considérera les aliments que l’emballage est destiné à contenir – ce qui conduirait à les faire participer à l’impression globale-, en faisant référence au mode d’utilisation (dont la consommation) du produit : « l’utilisateur averti effectuera son choix non pas pour disposer d’un récipient vide, mais en vue de consommer les aliments qui y sont contenus. Même les professionnels de l’industrie agroalimentaire ne verraient pas les récipients seuls, vides, sans aliments [puisque ce professionnel remplit le récipient d’aliments (§35)]. Par conséquent, les aliments en question feraient partie intégrante du dessin ou modèle contesté, en ce qu’ils participeraient à l’impression globale que celui-ci produit sur l’utilisateur averti. » (paragraphe 34).
L’influence de l’aspect du produit sur le choix de l’utilisateur averti (lors du processus d’achat, face à des produits concurrents) était un critère dont la pertinence méritait d’être clarifiée, car le Règlement est muet sur cet aspect. C’est d’autant plus dommage que la notion de décision d’achat revient un peu plus bas.
Aux arguments de la requérante, le Tribunal rétorque en servant les paragraphes habituels sur la définition de l’utilisateur averti pour conclure que la finalité des produits (dont il a précédemment été tranché qu’il s’agissait des emballages) permet de les distinguer de ce qu’ils contiennent (les aliments) :
Ainsi, l’utilisateur averti du dessin ou modèle contesté, soit-il le consommateur de conserves ou bien le professionnel de l’industrie agroalimentaire, appréciera ledit dessin ou modèle en conformité avec la finalité des produits dans lesquels il est destiné à être incorporé, qui est celle d’être des emballages pour aliments, et sera en mesure de faire la différence entre lesdits emballages et leur contenu. Dès lors, ainsi que la chambre de recours l’a, à juste titre, constaté au point 29 de la décision attaquée, l’apparence des aliments contenus dans les emballages dans lesquels le dessin ou modèle contesté est destiné à être incorporé ainsi que leur positionnement particulier à l’intérieur desdits emballages n’ont pas d’influence aux fins de l’appréciation de l’impression globale produite sur l’utilisateur averti par ledit dessin ou modèle.
paragraphe 40
Insistant à nouveau sur la perception des éléments visibles lors de l’acte d’achat, la requérante soutenait que « le fait de pouvoir visualiser les aliments contenus dans les emballages dans lesquels le dessin ou modèle contesté est destiné à être incorporé à travers leur couvercle transparent permettra à l’utilisateur averti d’évaluer la qualité et la disposition desdits aliments, ce qui constituera le facteur le plus décisif dans sa décision d’achat et, en conséquence, le facteur le plus significatif dans l’impression globale produite sur l’utilisateur averti par ledit dessin ou modèle. »
Là encore, le Tribunal reste inébranlable, en retenant en substance que les contours du produit ont déjà été délimités et que l’on ne peut donc considérer des éléments hors de ce périmètre :
(…) ainsi que cela a été constaté au point 31 ci-dessus, bien que visibles, et ce tant dans les emballages dans lesquels le dessin ou modèle contesté est destiné à être incorporé que dans ceux concernés par le dessin ou modèle antérieur, les aliments contenus dans lesdits emballages ne font pas partie de l’apparence des dessins ou modèles en cause que leur confèrent, en particulier, leurs composants aux caractéristiques précises, à savoir un récipient en métal, muni d’un couvercle transparent avec une languette translucide.
On n’a donc toujours rien sur la pertinence d’une référence au comportement de l’utilisateur averti lors de sa décision d’achat.
Enfin, toujours pour appuyer l’idée que l’aspect des aliments représentés doivent être considérés comme faisant partie du modèle en jeu, la requérante s’appuie sur le considérant 11 de la directive 98/71/CE du 13 octobre 1998, lequel prévoit que la protection conférée au titulaire par l’enregistrement d’un dessin ou modèle porte sur les caractéristiques d’un produit ou d’une partie de produit qui sont représentées visiblement dans la demande d’enregistrement.
Cet argument est écarté au motif qu’il s’agit là d’un point relatif à l’étendue de la protection conférée à un modèle, alors que le cas d’espèce concerne l’appréciation du caractère individuel d’un modèle (paragraphe 45).
Sachant à quel point les deux notions (caractère individuel et étendue de protection) sont envisagées de façon symétrique par le Règlement, on peut regretter que le Tribunal passe aussi rapidement sur cet aspect.
La suite de la motivation laisse toutefois place à une concession du Tribunal. La requérante critiquait une analogie effectuée par la chambre de recours dans la décision attaquée et selon laquelle lors de l’appréciation du caractère individuel d’une voiture de tourisme, « ce sont exclusivement les caractéristiques de l’apparence de la voiture qui doivent être prises en compte, et non celles des passagers assis à l’intérieur du véhicule, indépendamment de la question de savoir si, en raison de la nature transparente des vitres ou du toit, ces caractéristiques sont visibles.«
Le Tribunal est bien forcé d’admettre le bon sens de la requérante, part ce bel aphorisme que l’on prendra un malin plaisir à mettre en avant :
Certes, ainsi que la requérante le relève, à la différence d’un emballage pour aliments, une voiture n’est jamais achetée avec des personnes à l’intérieur.
paragraphe 46
Voila qui fera taire ceux qui critiquent les juges luxembourgeois comme étant enfermés dans une tour d’ivoire : nous avons ici la preuve qu’il ne sont pas détachés des réalités de ce bas monde (même si on ne peut s’empêcher de frémir en pensant à une lecture a contrario de cette phrase, qui laisserait penser que des emballages peuvent être achetés « avec des personnes à l’intérieur« ).
Bien entendu cette brève concession reste limitée : les juges continuent à affirmer que « ce sont exclusivement les caractéristiques de l’apparence des emballages dans lesquels le dessin ou modèle contesté est destiné à être incorporé qui doivent être prises en compte, et non les caractéristiques, la qualité et la disposition des aliments y contenus, indépendamment de la question de savoir si, en raison de la nature transparente des emballages ou de leur couvercle, lesdits aliments sont visibles« .
Au final, en l’absence de prise en compte de l’aspect des aliments représentés dans le modèle en cause, le caractère individuel de ce dernier se trouve annihilé par la divulgation antérieure d’un emballage à l’aspect proche, peu importe que cette antériorité porte sur un emballage rempli d’aliments à l’aspect bien différent de celui des aliments visibles sur le modèle dont la validité était en jeu.
II) Une solution difficile à avaler ?
Il est est déconcertant de voir le Tribunal considérer l’emballage seul, à l’exclusion de l’aspect de son contenu pourtant parfaitement visible, aux proportions importantes par rapport à l’ensemble, et de surcroit agencé d’une façon spécifique. De plus, la façon dont cela est justifié est pour le moins frustrante tant le Tribunal procède par affirmation.
Plusieurs éléments laissent penser qu’une autre solution aurait pu être retenue. Par ailleurs, le déposant aurait pu renforcer sa capacité à faire comprendre la portée exacte de la protection recherchée en accordant un peu plus d’importance à l’indication de produits.
La leçon à tirer de cet arrêt est au moins à ce niveau : l’indication de produit n’est pas anodine, même pour un droit de propriété industrielle dont la portée n’est, en principe, pas limitée par un principe de spécialité.
A) L’approche holistique qui entoure la matière
La philosophie du droit des dessins et modèles consacre une approche holistique, c’est-à-dire favorisant le « point de vue qui consiste à considérer les phénomènes comme des totalités » (CNRTL). Elle s’oppose au saucissonnage.
Autrement dit, on ne doit pas procéder au découpage des éléments constitutifs d’un dessin ou modèle.
Cette approche est exprimée dans des dispositions essentielles du Règlement : l’article 6 (caractère individuel) et l’article 10 (étendue de la protection conférée). Dans le parallélisme de leur rédaction, ces articles énoncent très clairement que l’appréciation des notions qu’ils gouvernent se fait, dans les deux cas, en tenant compte de l’impression [visuelle] globale.
Relève du même ordre d’idée le principe d’interdiction de combiner des antériorités, qui a été affirmé dans l’arrêt Karen Millen. Pour mémoire, dans cet arrêt, la CJUE a dit pour droit que l’appréciation du caractère individuel d’un modèle ne doit pas intervenir par rapport à « une combinaison d’éléments isolés, tirés de plusieurs dessins ou modèles antérieurs », mais doit s’effectuer « par rapport à un ou plusieurs dessins ou modèles précis, individualisés, déterminés et identifiés parmi l’ensemble des dessins ou modèles divulgués au public antérieurement » (CJUE 19 juin 2014 affaire C-345/13, §35 et premier point du dispositif).
Dès lors, on peut être sceptique face au découpage virtuel qu’opère le Tribunal pour détacher les aliments représentés dans les modèles en jeu afin de les ignorer.
B) Quand un déposant n’entend pas protéger un élément, il a la capacité de le faire. Donc a contrario, ce à quoi il n’a pas renoncé devrait être pris en compte
Il semble que si le déposant a représenté un élément -à plus forte raison lorsque cet élément est un produit spécifique à lui seul (cf. point C ci-dessous)- cet élément ne devrait pas être ignoré (ni pour l’appréciation du caractère individuel, ni pour l’appréciation de l’étendue de protection), à moins que cet élément ne s’avère négligeable.
Dans les modèles des affaires rapportées, les aliments sont représentés normalement : ils n’ont pas été volontairement exclus par le déposant.
Lors du dépôt, si le déposant veut représenter un élément tout en excluant celui-ci du périmètre de la protection revendiqué, il peut signifier ce renoncement en identifiant la partie du produit qui n’a pas vocation à être protégée par un code graphique (pointillés, flou, colorisation, …). Le principe et les modalités de représentation d’un tel « disclaimer » visuel sont exprimés clairement dans les Guidelines de l’EUIPO et dans le document de convergence dit « CP 6 » adopté par l’EUIPO et certains Office, dont l’INPI (Convergence en matière de représentation graphique des dessins ou modèles – Communication commune, European Trade Mark and Design Network, 15 mai 2018).
Ainsi, quand le déposant veut une protection sur une partie seulement de l’aspect d’un produit, il est seul maître pour sélectionner la partie du produit qui l’intéresse (à propos du caractère individuel d’un modèle partiel, voir notre commentaire sur l’arrêt Bucke Chemie / Henkel).
A l’inverse, si le déposant revendique une protection sur un ensemble, n’est-il pas également le seul maitre à bord pour déterminer les frontières de cet ensemble ?
Dans le cas présent, comme les aliments représentés le sont sans aucun disclaimer visuel, le déposant n’a pas entendu les exclure du périmètre de la protection qu’il revendiquait. Pour cette raison, il apparait étonnant que les juges, eux, aient exclus ces éléments lors de l’examen du caractère individuel.
C) De l’importance relative de certains éléments constitutifs des modèles de l’espèce
Il était difficile de ne pas tenir compte de l’aspect des aliments dans les modèles en cause, si l’on considère d’une part de la proportion des aliments par rapport à l’ensemble qu’ils forment avec leur emballage au sein des vues des modèles et, si l’on s’attarde d’autre part sur l’agencement particulier de ces aliments, lequel traduit la recherche d’un impact visuel (au moins dans le modèle n°002022772-0001 : les morceaux de poissons y forment des motifs répétitifs triangulaires entrecroisés, dont la disposition géométrique organisée de façon à s’inscrire dans un cercle tranche avec l’aspect habituellement organique de la nourriture).
On peut d’ailleurs souligner que la toute première des trente deux classes de Locarno porte sur les « Produits alimentaires » (et on se souviendra d’appétissants modèles portant sur des tartes aux pommes). Pour être précis, la sous-classe 01-04 est explicitement consacrée aux « PRODUITS DE BOUCHERIE, DE CHARCUTERIE ET DE POISSONNERIE ».
D) Du caractère purement administratif de la Classification
Par ailleurs, si les arrêts n’ignorent pas les dispositions de l’article 36.6 (l’indication de produit et celle de la classification « ne portent pas atteinte à l’étendue de la protection du dessin ou du modèle en tant que tel« ), on peut ajouter une illustration additionnelle de l’importance très relative de l’intitulé du produit et de la classification de Locarno.
Lors du dépôt de la demande d’enregistrement d’un modèle unique, alors qu’il est parfaitement possible d’indiquer plusieurs classes de Locarno (comme expliqué ci-dessous au point G), il se trouve qu’à l’inverse, ceci est impossible lors d’un dépôt multiple (article 37.1 du Règlement 6/2002).
Or il n’y a aucune raison que la nature du produit auquel s’applique ou s’incorpore un dessin ou modèle puisse être différente entre un modèle déposé de façon individuelle et un modèle faisant partie d’un dépôt multiple. Cela illustre le fait que la classification reste un élément administratif : son impact se fait sentir sur le calcul des taxes officielles.
Ceci devrait relativiser l’impact de l’indication de produit lors de l’appréciation du caractère individuel d’un modèle (ou celle de sa portée).
Mais cette indication n’est pas anodine.
E) Une hiérarchie des éléments constitutifs d’un enregistrement de dessin ou modèle communautaire ?
Alors que la nature des droits attachés à un dessin ou modèle réside dans « l’apparence d’un produit ou d’une partie de produit« , il serait naturel de considérer que les vues sur lesquelles est représenté le dessin ou modèle ont une importance cruciale dans la détermination de l’objet du droit (voir : Le dessin du modèle : vecteur de l’harmonisation internationale du droit des dessins et modèles ?, Natalia Kapyrina, article publié sur le site de l’International Association for the Advancement of Teaching and Research in Intellectual Property, 2016).
Et assez explicitement, l’article 3.2 du Règlement n°2245/2002 et l’article 36.6 du Règlement n°6/2002 relèguent sur un plan secondaire l’indication de la classe de Locarno dont relève un modèle et l’indication du produit concerné.
On pourrait voir dans l’ordre des dispositions de l’article 36 du Règlement 6/2002 une certaine hiérarchie entre les différents éléments qui y sont listés selon la sous-numérotation de l’article. En effet, conformément aux dispositions de l’article 38, les éléments exigés dans la première sous-partie de l’article 36 sont ceux qui sont indispensables pour accorder une date de dépôt. C’est le cas des vues (article 36.1). En revanche, l’indication des produits dans lesquels le dessin ou modèle est destiné à être incorporé ou auxquels il est destiné à être appliqué est une exigence qui apparait ensuite, à l’article 36.2 et enfin l’indication de la classification dont ces produits relèvent, qui apparait après (article 36.3.d), est mentionnée comme « facultative« .
Cet ordre reste toutefois une pure façade : il n’est pas affirmée autrement que par la numérotation, à laquelle il ne faut pas non plus donner artificiellement une importance qu’elle n’a pas.
Ceci étant, le problème précis du cas présent réside dans la détermination de la nature du produit concerné en vue d’apprécier le caractère individuel du modèle. A cet égard, et toujours sur la base de l’article 36, le fameux arrêt « Pogs » incite à considérer l’indication de produit en premier lieu, avant le dessin ou modèle lui-même :
(…) il résulte de l’article 36, paragraphe 6, du règlement 6/2002 que, pour déterminer le produit auquel le dessin ou modèle contesté est destiné à être incorporé ou auquel il est destiné à être appliqué, il convient de tenir compte de l’indication qui y est relative dans la demande d’enregistrement dudit dessin ou modèle, mais également, le cas échéant, du dessin ou modèle lui-même, dans la mesure où il précise la nature du produit, sa destination ou sa fonction. En effet, la prise en compte du dessin ou modèle lui-même peut permettre d’identifier le produit au sein d’une catégorie de produits plus large indiquée lors de l’enregistrement et, par conséquent, de déterminer effectivement l’utilisateur averti et le degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle.
TUE, 18 mars 2010, affaire T-9/07, Grupo Promer Mon Graphic, SA, / OHMI, PepsiCo, Inc., paragraphe 56
La primauté de l’indication de produit sur les vues elle-mêmes (auxquelles on ne s’intéressera alors que « dans la mesure où celui-ci permet de préciser la nature, la destination ou la fonction du produit » -notions quelques peu exotiques ici : elles renverraient plutôt à l’appréciation du lien de similarité entre produits et services en matière de marques-), était par ailleurs clairement exprimée par le Tribunal dans un arrêt du 6 juin 2019 (TUE, 6 juin 2019, aff. T-209/18, Porsche AG / EUIPO, Autec AG, §33 et 34 ; cf « Un an de jurisprudence européenne en propriété industrielle« , Propriété Industrielle n°11, novembre 2019, chron. 10, point 8).
On notera enfin que, dans le cadre de l’examen des demande d’enregistrement de modèles communautaires, lorsque l’indication de produit ne permet pas de déterminer clairement de quelle sous-classe de Locarno ce produit relève, l’examinateur peut déterminer la sous-classe adéquate sur la base du produit tel que présenté dans la représentation graphique.
F) « Un produit » peut consister en un ensemble d’articles
Le singulier est employé à l’article 1.2 du Règlement 6/2002 et dans les définitions données à l’article 3.a pour un « dessin ou modèle » et 3.b pour un « produit ». Ces notions essentielles continuent à n’être mentionnées qu’au singulier à l’article 4 qui introduit les conditions de protection.
Pour autant, le système des modèles communautaires enregistrés n’exclut pas la protection d’un modèle constitué par une combinaison de produits, ce que les directives internes à l’Office (guidelines) envisagent comme un « ensemble d’articles ». Si le terme « article » n’est pas défini, on peut certainement l’assimiler à la notion de produit.
Le paragraphe 5.2.8 des directives (version du 1er février 2020) relatif aux modalités de représentation graphique prévoit explicitement ce cas de figure. Certaines conditions doivent alors être remplies :
Extrait des directives d’examen des dessins ou modèles (5.2.8)
« Un ensemble d’articles est un groupe de produits de même type qui sont généralement considérés comme fonctionnant ensemble et qui sont par conséquent utilisés ensemble. Voir l’exemple ci-dessous.
DMC nº 938 709-0001
La différence entre un produit complexe et un ensemble d’articles réside dans le fait que contrairement à un produit complexe, les articles appartenant à un «ensemble d’articles» ne sont pas mécaniquement interconnectés.
Un ensemble d’articles peut constituer un «produit» en soi au sens de l’article 3 du RDC. Il peut être représenté dans une demande unique de dessin ou modèle si les articles qui le composent sont liés par leur complémentarité esthétique et fonctionnelle et sont, dans des circonstances normales, vendus ensemble en tant que produit unique, par exemple un échiquier et ses pièces ou un jeu de couteaux, de fourchettes et de cuillères.
Il doit cependant apparaître clairement dans la représentation que la protection est demandée pour un dessin ou modèle résultant de la combinaison des articles composant l’ensemble, et non pour chaque article pris séparément. »
Pour marquer l’opposition avec la jurisprudence visée ci-dessus au point E, il faut souligner les termes du dernier paragraphe de de ces directives d’examen : il n’y absolument pas question d’une référence à l’indication de produit. C’est la représentation du dessin ou modèle qui est déterminante.
Les conditions de « complémentarité esthétique et fonctionnelle » (pas de commentaire sur cette condition dans cet article pour éviter une digression, mais il y a de quoi tiquer…) et de commercialisation de l’ensemble en tant que produit unique sont énoncées par les directives et n’apparaissent pas dans les Règlements (voir par ex. TUE 4 février 2014, affaire T357/12, Sachi Premium-Outdoor Furniture, Lda / EUIPO et Gandia Blasco, SA).
Bien évidemment, la portée de la protection d’un modèle portant sur un ensemble d’articles est liée à l’impression visuelle globale de leur combinaison ; un tel enregistrement ne protège pas de façon isolée les éléments constitutifs, i.e. les articles (produits) individuels.
Dans le cas présent, l’ensemble formé par l’emballage et la nourriture qu’il contient semble bien répondre aux deux conditions précitées. Admettre que le modèle concernait un ensemble d’articles aurait donc conduit à ne pas écarter l’aspect des aliments dans l’appréciation de l’impression globale.
G) Plusieurs produits peuvent être indiqués au regard d’un seul dessin ou modèle communautaire
Enfin, si l’on va au-delà des faits qui cristallisaient les deux espèces, il est aussi un autre élément qui aurait pu entrer en ligne de compte. Le conditionnel est de mise car il s’agit d’une modalité de dépôt qui n’a pas été mise en œuvre dans les cas rapportés (et qui ne peut pas l’être a posteriori).
Le déposant aurait pu employer des indications explicites quant à la portée qu’il entendait donner à ses dessins et modèles.
Les Directives d’examen de l’EUIPO prévoient explicitement la possibilité de désigner plusieurs produits dans un dépôt de dessin ou modèle :
Extrait des directives d’examen des dessins ou modèles (6.1.4.3 Établissement de la désignation des produits)
Plusieurs produits peuvent être indiqués dans la demande.
Si plusieurs produits sont indiqués dans la demande, les produits ne doivent pas nécessairement appartenir à la même classe de la classification de Locarno, à moins que plusieurs dessins ou modèles ne soient combinés en une demande multiple (article 37, paragraphe 1, du RDC; article 2, paragraphe 2, du REDC, voir point 7.2.3).
Le titulaire des modèles litigieux aurait donc pu, lors du dépôt, mentionner les emballages alimentaires (09-03 boites pour aliments) ainsi que les aliments (01-04 Produits de boucherie, de charcuterie et de poissonnerie).
Et cela restera cantonné à une uchronie juridique : le fait que le déposant n’ait pas eu recours à cette possibilité n’est pas évoqué à son encontre dans les jugements rapportés.
III) Ce qu’il faut retenir de ces arrêts
Il ne faut pas négliger l’importance de l’indication de produit lors du dépôt. C’est un piège vers lequel on est pourtant entrainé par l’absence de principe de spécialité en matière de dessins et modèles.
Comme on le voit ici, cette indication de produit est primordiale : elle peut, dans certaines circonstances, prendre le pas sur ce qui est représenté sur les vues du modèle. Le déposant doit donc y accorder une attention spécifique. Il aura intérêt à rester vigilant si l’examinateur modifie d’office la désignation des produits (cf. Directives de l’EUIPO, 6.1.4.4), ce à quoi le déposant peut s’opposer.
Certes, encore une fois, l’indication de produit ne détermine pas la portée des droits. Mais la nature du produit a un impact car elle joue sur au moins deux aspects :
- la détermination de l’utilisateur averti : il faut bien savoir ce qu’utilise ce personnage de référence (ce que le test en quatre étapes avait le mérite de requérir dans un ordre logique).
- la détermination de la fonction du produit. Cet aspect est un fondement pour la mise en œuvre des dispositions de l’article 8.1 relatif à l’absence de protection des caractéristiques dont l’aspect est exclusivement dictée par la fonction du produit.
Épilogues :
Premier complément :
Enfin, dernière possibilité pour les déposants : viser la Classe 32, en décrivant le produit comme étant une « présentation » (éventuellement on peut compléter en indiquant ce qui est présenté, tout en restant en classe 32. C’est dire, à nouveau, à quel point la Classification ne devrait pas avoir d’autre valeur qu’administrative -quoi que puisse être cette valeur « administrative »-). L’imprécision de ce terme rendra difficile l’identification précise et efficace du produit concerné.
C’est justement le cas de ce modèle n°001469480, déposé au nom d’une autre entité, le 19/11/2018 :
Second complément :
Un autre commentaire a été publié par un auteur éminent :
Dessins et modèles. Caractère individuel – Un modèle peut-il se caractériser à la fois par son contenant et son contenu ? – Commentaire par Pierre GREFFE, Propriété industrielle n° 7-8, Juillet 2020, comm. 46,
Article encore une fois très intéressant.
Merci de ces réflexions que l’on peut là-aussi qualifier d’holistiques 🙂 et qui montrent, comme toujours, combien les DM sont une matière subtile et évolutive. Notre ancien droit national des DM est vraiment loin. Le nouveau (plus si nouveau d’ailleurs) doit être « pratiqué » à la lumière de ces jurisprudences européennes complexes. Que dirait notre Tribunal judiciaire national de la protection de DM représentés avec leurs contenants comme en ces affaires ; s’il était plus clément sur la validité que le TUE, retiendrait-il pour autant la contrefaçon en cas d’apposition d’étiquettes qui viendraient cacher tout ou partie des contenants ou en cas de contenants alimentaires différents ?
Encore merci de nourrir la réflexion !
Merci beaucoup Sylvie !