Si le droit des dessins & modèles est harmonisé au niveau européen, cette harmonisation est incomplète. Ainsi, lors de l’élaboration de la Directive sur les dessins ou modèles, aucune entente n’a été possible au sujet de limitations qui auraient facilité le recours à des pièces de rechange tierces. Dans le but de favoriser la concurrence sur le marché des pièces détachées, il avait été initialement envisagé d’introduire une exception aux prérogatives des titulaires de droits sur des dessins ou modèles.
Le principe d’une telle exception, connue sous le nom de « clause de réparation », consiste à paralyser la protection d’un dessin ou modèle à l’égard d’une pièce d’un produit complexe, lorsque cette pièce est utilisée dans le but de réparer le produit complexe et ainsi lui rendre son apparence initiale.
Faute de consensus, la Directive 98/71 avait donc été finalisée en laissant cette question de côté, tout en prévoyant de la réexaminer ultérieurement. Le Règlement sur les dessins ou modèles communautaires inclut une clause de réparation, présentée comme une disposition « transitoire », dans l’attente d’une évolution de la Directive sur ce point. Les législations nationales sont quant à elles partagées entre celles intégrant ou non une clause de réparation.
Dans ce contexte d’opposition entre les intérêts des constructeurs automobiles et les intérêts des fabricants de pièces détachées, le fait que des solutions divergentes existent entre des entre systèmes nationaux et communautaire conduit à une certaines complexité. Les décisions à ce sujet étant rarissimes en France (au moins au civil), la récente publication au PIBD d’un jugement parisien rendu en janvier 2017 nous donne l’occasion d’évoquer la clause de réparation ainsi que sa mise en œuvre dans d’autres pays européens, ce qui permet au passage de mettre en lumière deux séries de questions préjudicielles.
I) État du droit : du provisoire qui dure
A) Absence d’harmonisation européenne sur la clause de réparation (le « Freeze-plus »)
La Directive 98/71, à l’article 14 prévoit de laisser les États membres maintenir leur législation, jusqu’à nouvel ordre. Les considérants 19 et 20 du Préambule exposent que le rapprochement des législations nationales sur le sujet de la clause de réparation n’était pas possible sans retarder indument l’adoption de la Directive. Le considérant 19 et l’article 18 prévoient que trois ans après la date limite de transposition (soit le 28 octobre 2004), la Commission présente une analyse des effets des dispositions de la Directive sur l’industrie communautaire, les consommateurs, la concurrence et le fonctionnement du marché intérieur, pour envisager et proposer une évolution du texte. Jusqu’à l’adoption d’une telle réforme, les États membres ne peuvent faire évoluer leur législation sur ce point que dans le sens d’une libéralisation du marché des pièces de rechange (la position arrêtée par la Directive est dite « freeze plus »).
L’article 14 évoque la clause de réparation comme suit :
Directive 98/71 – article 14 – Disposition transitoire
Jusqu’à la date d’adoption des modifications apportées à la présente directive, sur proposition de la Commission, conformément aux dispositions de l’article 18, les États membres maintiennent en vigueur leurs dispositions juridiques existantes relatives à l’utilisation du dessin ou modèle d’une pièce utilisée dans le but de permettre la réparation d’un produit complexe en vue de lui rendre son apparence initiale et n’introduisent des modifications à ces dispositions que si l’objectif en est de libéraliser le marché de ces pièces.
Le Règlement 6/2002 sur les Dessins ou modèles communautaires comporte la clause de réparation qui écarte la protection des pièces de rechanges. Le considérant 13 du préambule au Règlement rappelle ce que le considérant 19 de la Directive exposait quant à l’analyse par la Commission de l’impact de ses dispositions trois ans après sa date limite de transposition, ce qui sous-entendait la possibilité d’une évolution des textes à cette occasion. C’est pourquoi, à nouveau la règle fixée dans le dispositif est présentée sous le titre de mesure « transitoire ». Pour les dessins ou modèles communautaires, cette règle est celle de la clause de réparation.
Règlement 6/2002 – Article 110 – Disposition transitoire.
Jusqu’à la date d’entrée en vigueur des modifications apportées au présent règlement, sur proposition de la Commission à ce sujet, une protection au titre de dessin ou modèle communautaire n’existe pas à l’égard d’un dessin ou modèle qui constitue une pièce d’un produit complexe qui est utilisée au sens de l’article 19, paragraphe 1, dans le but de permettre la réparation de ce produit complexe en vue de lui rendre son apparence initiale.
B) Hétérogénéité des solutions adoptées par les États Membres
Les différents États Membres restent toujours divisés entre ceux dont la législation nationale intègre ou non la clause de réparation. Le tableau ci-dessous synthétise cette situation (sources : Legal review on design protection in Europe et Autorité de la Concurrence, d’après le document de travail sur la proposition de directive du Parlement et du Conseil modifiant la directive 98/71/CE sur la protection juridique des dessins ou modèles – Commission des affaires juridiques -COM(2004) 582 final – 2004/0203(COD) + mes corrections basées sur la durée de protection indiquée par l’OMPI pour les dessins & modèles internationaux).
Pays ayant libéralisé d’un point de vue juridique le marché des pièces visibles (clause de réparation) |
Pays ayant libéralisé dans les faits le marché des pièces visibles |
Pays n’ayant pas libéralisé |
Belgique Espagne Irlande Italie Luxembourg Pays-Bas Pologne Royaume-Uni Hongrie Lettonie Grèce |
Allemagne
(Bien que disposant dans le droit |
Autriche Malte Danemark * Slovaquie Finlande * Slovénie France Portugal Suède * République tchèque Chypre Estonie Lituanie |
(*) La durée de protection des pièces détachées est toutefois réduite de 25 à 15 ans en Suède, en Finlande et au Danemark.
C) Status Quo
Au niveau de la Directive, comme au niveau de la législation française, jusqu’à présent, les tentatives de réformes en vue de l’adoption de la clause de réparation n’ont pas abouti. La Directive et la législation française sont donc restées inchangées.
Dans le délai qui lui était imparti, la Commission Européenne avait proposé de modifier la Directive en y intégrant la clause de réparation, dans le cadre du projet « Eurodesign » du 14 septembre 2004 (Procédure 2004/0203/COD). Le 12 décembre 2007, le Parlement Européen avait adopté cette proposition. Cependant, la proposition de la Commission est restée lettre morte (son retrait a été publié au JO de l’UE du 25 mai 2014).
A la demande de la Commission deux études ont été menées sur la protection des dessins ou modèles. En 2015, un premier rapport sur l’aspect économique des dessins & modèles a été publié (Economic review of industrial design in Europe), favorable à une généralisation de la clause de réparation. Un seconde étude sur l’aspect juridique a été publiée en 2016 (Legal review on design protection in Europe). Ce dernier préconise une évolution, par exemple via une protection limitée à une durée de trois ans pour les pièces de rechange et un système de licences FRAND.
En France, la possibilité d’introduire la clause de réparation a été évoquée et à chaque fois écartée lors de discussions sur divers projets ou propositions de lois : la loi de modernisation de l’économie en 2008, la loi sur la consommation (loi Lefebvre) en 2011, la loi sur la consommation (Loi Hamon) en 2014 et la loi sur la croissance (Loi Macron) en 2014 (cf. Fédération des syndicats de la distribution automobile [FEDA], qui constate l’échec de son lobbying : Clause de réparation, « enjeu économique et social »). En 2012, l’Autorité de la Concurrence, après s’être auto-saisie, a rendu un avis qui préconisait l’adoption d’une clause de réparation (Avis n°12-A-21 du 8 octobre 2012). Il n’a pas reçu de suite concrète à ce jour.
Dans cette situation de divergence entre certains droits nationaux et le système des modèles communautaires, les constructeurs automobiles ont intérêt à privilégier les dépôts de modèles nationaux sur les pièces détachées dans les pays où la clause de réparation n’existe pas, plutôt que de tabler uniquement sur le modèle communautaire. Il faut donc reconnaitre à BMW une certaine audace pour avoir parié sur le modèle communautaire afin de protéger des jantes. La société bavaroise ainsi que d’autres constructeurs, essentiellement allemands, ont pu tester la position de plusieurs juridictions nationales quant à la protection de tels modèles face à la clause de réparation de l’article 110 du Règlement. Le jugement français rapporté fait en effet suite à divers précédents tranchés devant les juridictions d’autres États Membres.
II) Les juges et les jantes
Les décisions des juridictions civiles relatives aux pièces de rechange étaient restées rarissimes. Le contentieux s’est en effet développé presque exclusivement au pénal (cf. JurisClasseur Marques – Dessins et modèles, Fasc. 3110, §51, à propos des exceptions « must fit, must match« ).
Sur ce sujet, un jugement du TGI de Paris rendu en janvier 2017 à propos de modèles communautaires présente donc un intérêt particulier.
A) Points saillants du jugement du 6 janvier 2017
La société BMW invoquait ses enregistrements de modèles communautaires de jantes à l’encontre d’un défendeur qui avait importé d’Italie des jantes ayant le même aspect, afin de les commercialiser en France.
Quelques-uns des nombreux modèles de jantes en jeu sont visible ci-dessous (repris de la publication au PIBD).
Le défendeur invoquait le bénéfice de la clause de réparation de l’article 110 du Règlement. Afin de déterminer si la protection des modèles communautaires de BMW relatifs à des jantes était limitée ou non par le jeu de l’article 110 du Règlement, le tribunal tient le raisonnement suivant :
Toutefois [les dispositions de l’article 110] doivent être interprétées restrictivement en ce qu’elles sont provisoires [le terme exact est : transitoires] et en ce qu’elles portent une limite aux droits du titulaire de dessins et modèles, ne sont pas applicables aux jantes de véhicule automobile. En effet, le produit complexe est celui qui se compose de pièces multiples qui peuvent être remplacées de manière à permettre le démontage et le remontage du produit (article 3 (c) du règlement 6/2002). Et si un véhicule automobile constitue un produit complexe, les jantes destinées à être positionnées sur les roues, ne constituent pas des pièces d’un véhicule, mais sont des produits à part entière, interchangeables et autonomes, indépendants du véhicule sur lequel elles sont installées et représentent des éléments de complément, qui n’impliquent pas qu’elles soient insérées dans le produit ni qu’elles en soient une partie intégrante. Les jantes sont donc des accessoires qui contribuent à l’esthétique d’ensemble d’un véhicule et qui permettent au consommateur de les remplacer à l’envi par toute autre présente sur le marché, sous réserve de la compatibilité avec la roue sur laquelle elles sont montées et ne peuvent donc être considérées comme des « pièces détachées » et par suite être exclues de la protection conférée par le dépôt d’un dessin et modèle. En outre, quand bien même il était considéré que les jantes constitueraient des pièces d’un produit complexe, l’apparence des jantes n’est pas conditionnée par l’apparence du véhicule sur lequel elles sont susceptibles d’être installées, elles ne sont pas utilisées aux fins de réparation d’un produit complexe pour rendre à celui-ci son apparence d’origine, de sorte que les dispositions de l’article 110 précitées ne leur sont pas plus applicables.
En effet un même véhicule peut être revêtu de différentes jantes et à l’inverse, un même modèle de jantes peut être installé sur différents types de véhicules.
Si l’on schématise cette partie du jugement, on peut identifier quatre conditions cumulatives, pour que l’exception que constitue la clause de réparation de l’article 110 trouve à s’appliquer. Le tribunal considère qu’une seules d’entre elles est remplie.
Première condition : il faut que l’on soit en présence d’un produit complexe. Il est admis sans difficulté qu’un véhicule est un produit complexe.
Deuxième condition : il faut que les pièces de ce produit complexe en soient des pièces détachés. Or, les juges parisiens considèrent que ce n’est pas le cas des jantes, car ces produits :
- sont interchangeables,
- sont autonomes,
- sont indépendants du véhicule,
- n’en sont pas une « partie intégrante »,
- sont remplaçables.
Troisième condition : il faut que les pièces soient utilisées aux fins de réparation. Le tribunal affirme que ce n’est pas le cas des jantes, en le justifiant simplement par le fait qu’il n’y a pas de relation de bijection entre jantes et véhicules.
Quatrième condition : l’apparence des pièces doit être conditionnée par l’apparence du produit complexe sur lequel elles sont susceptibles d’être installées. Là, le tribunal procède juste par voie d’affirmation au sujet des jantes.
Comme on le verra ci-dessous, cette dernière condition est absente de l’article 110. En fait, sans le dire explicitement, le tribunal a été conditionné par la jurisprudence de tribunaux d’autres pays européens, qui eux motivent la même solution par une référence explicite à une condition additionnelle, tirée du préambule du Règlement. Le jugement parisien est dans la lignée de la grande majorité des solutions dégagées dans d’autres États membres (qui dans plusieurs cas impliquent aussi BMW) à propos de cette problématique de l’application de l’article 110 aux jantes de véhicules.
Références : BAYERISCHE MOTOREN WERKE AKTIENGESELLSCHAFT (Allemagne) et BMW FRANCE sa c. Samuel R (exerçant sous l’enseigne RS-IMPORT), Tribunal de grande instance de Paris, 3ème ch., 3ème sect., 6 janvier 2017 (RG 2014/06010 ; d20170011), PIBD N° 1069 III 273
B) Solutions adoptées par les juridictions d’autres États membres
Dans les autres États Membres, environ une quarantaine de décisions ont été déjà rendues au sujet de l’application de l’article 110 à des jantes (selon les chiffres de l’ECTA). Presque toutes ont considéré que les jantes ne bénéficient pas de l’exception de la clause de réparation prévue par l’article 110.
La solution retenue par le jugement du 6 janvier 2017 ne détonne pas complètement avec les positions prises par d’autres tribunaux des dessins ou modèles communautaires.
Au Royaume-Uni, la Patent Court a écarté le bénéfice de l’article 110 au regard de modèles concernant des jantes (Bayerische Motoren Werke Aktiengesellschaft v Round and Metal Ltd [2012] EWHC 2099 (Pat), 27 juillet 2012 ; cette décision était évoquée sur IPKat).
Dans cette décision, un point intéressant du raisonnement concerne un indice permettant de présumer que les jantes de l’espèce ne sont pas destinées à réparer un véhicule : leur vente par lot de quatre. En effet, dans le cas où un véhicule a été accidenté, il est difficilement concevable qu’une réparation soit nécessaire (ou envisageable) sur les quatre roues à la fois. Dans un but de réparation, il serait à l’inverse logique de pouvoir acquérir des jantes à l’unité.
En Espagne, les tribunaux d’Alicante en première et deuxième instance ont également écarté le bénéfice de l’article 110 au regard de modèles concernant des jantes (Bayerische Motoren Werke vs. Acacia Autohaus Motorsport, Alicante 16 janvier 2013 et 20 février 2014 ; Audiencia Provincial de Alicante, 18 juin 2010 – décision numéro 443/08 et décision numéro 278/10).
En Suède, dans le cadre d’une procédure de droit à l’information, un arrêt a confirmé la position retenue en première instance, selon laquelle les jantes n’étaient pas des pièces de rechange au sens de l’article 110. La cour retient en substance que l’aspect d’une telle pièce n’est pas conditionné par celui du véhicule au sens où un seul aspect de jante serait possible pour un véhicule. A l’inverse, il est envisageable et même prévu que l’aspect d’un véhicule puisse varier en fonction du choix des jantes (Daimler AG ./. World of Wheels Nordic et al, injonction en fourniture d’information (« fråga om informationsföreläggande »), Cour d’appel de Svea, affaire n° Ö 8596, 15, 29 janvier 2016). Un article du cabinet Lindahl au sujet de cette affaire en donne les grandes lignes en anglais.
En Belgique, il a été considéré que les jantes ne relèvent pas de la clause de réparation (Tribunal de Commerce francophone de Bruxelles, 16 février 2015, RG A/12/05787, BMW ./. SA Auto Sports Willy, SARL EUROWHEELS et THREEFACE TUNING).
Au Danemark, la Cour Suprême a, en substance, retenu la même solution de principe (Højesteret (Cour suprême du Danemark), 10 mars 2015 –17/2010).
En Finlande, une décision écarte également le bénéfice de l’article 110 pour les jantes (Court of Helsinki, 15/149362, 19 novembre 2015, Az. R 14/5257).
En Allemagne, de la même façon, plusieurs décisions ont écarté le bénéfice de l’article 110 au regard de modèles concernant des jantes (OLG Stuttgart, 2 U 46/14, 11 septembre 2014, GRUR 2015, 380 Tz 34 ; LG Hamburg, 18 septembre 2015 – 308 O 143/14 ; LG Dusseldorf, 30 avril 2015 – 14c O 183/13 ; Porsche v Acacia LG Düsseldorf 14c O 304/12 28 novembre 2013 ; LG Düsseldorf GRUR – RR 2016, 228 – Autofelgen ; LG Hamburg GRUR – RS 2015, 16872 – Leichtmetallrad).
Enfin, le Bundesgerischtshof (la plus haute juridiction allemande) a soumis des questions préjudicielles à la CJUE quant à l’interprétation de l’article 110 (BGH, Porsche ./. Acacia, I ZR 226/14, 2 juin 2016, CJEU C-435/16).
Rien qu’en Italie, une vingtaine de décisions ont pu être rendues à propos de l’application de l’article 110.
Dans une affaire où il n’était pas question de jantes, mais d’optiques, le tribunal de première instance de Turin a jugé que des pièces génériques d’éclairage n’étant pas destinées à un véhicule précis ne bénéficient pas des dispositions de l’article 110 (Aspoeck Systems v Eurolites, jugement du 13 janvier 2012).
Concernant les jantes, une majorité de décisions refuse de leur appliquer la clause de réparation (Tribunale di Bologna, 17 décembre 2013 –4306/2011 ; Tribunale di Bologna, 17 décembre 2013 – 9059/2011 ; Tribunale di Milano, 21 février 2013– EGMR affaire numéro 7549310 75493/2010 ; Tribunale di Milano, 27 novembre 2014 – 3801/2013).
Par son jugement du 9 février 2013 (Tribunale di Milano, 09 février 2013, Audi AG ./. Acacia SRL, 3801/2013), le tribunal de première instance de Milan a jugé que les jantes de véhicules n’étaient pas des pièces de rechanges bénéficiant des dispositions de l’article 110, estimant que ces produits étaient indépendants, alors que le considérant 13 du Règlement évoque la dépendance (pour reprendre la terminologie de la version anglaise) de l’apparence du produit complexe à l’aspect de la pièce détachée. Ce faisant, le tribunal milanais a refusé de poser une question préjudicielle sur l’interprétation de l’article 110 (voir à ce propos le billet de Class 99).
A l’inverse, dans une autre affaire, la Cour d’appel de Naples avait admis le bénéfice des dispositions de l’article 110 au regard de modèles de jantes (Corte d’appello di Napoli, 25 septembre 2013 –3300/2011).
Puis, la Cour d’Appel de Milan a finalement soumis des questions préjudicielles (Audi v Acacia, R.G. 1080/2015, 15 juin 2016, CJEU C-397/16).
Comme dans le jugement milanais précité du 9 février 2014, plusieurs de ces décisions étrangères se basent sur la divergence de rédaction entre l’article 110 du Règlement et la formulation du considérant 13, lequel est limité dans ses effets aux modèles « dépendants » (i.e. « must match »). Le jugement parisien rapporté ne fait pas référence au préambule du Règlement.
Pour revenir au texte de la Directive et du Règlement, on peut effectivement noter qu’au considérant 19 de la Directive, l’absence de consensus qui empêche l’harmonisation complète est mentionnée comme concernant « l’utilisation de dessins ou modèles protégés dans le but de permettre la réparation d’un produit complexe en vue de lui rendre son apparence initiale, lorsque le produit dans lequel le dessin ou modèle est incorporé ou auquel le dessin ou modèle est appliqué constitue une pièce d’un produit complexe dont l’apparence conditionne le dessin ou modèle protégé« . Le membre de phrase en rouge ne se retrouve pas dans l’article 14 de la Directive. On voit que cette phrase en rouge qui apparait uniquement dans le préambule est présentée comme une condition, du fait de l’emploi de la conjonction « lorsque » : il faut que la pièce conditionne l’apparence du dessin ou modèle. Dans la version anglaise de la Directive, la condition présente uniquement dans le préambule est formulée ainsi : « (…) where the product incorporating the design or to which the design is applied constitutes a component part of a complex product upon whose appearance the protected design is dependent ».
Le même écart se retrouve dans le Règlement, entre le considérant 13 et l’article 110.
C) questions préjudicielles
Ce panorama de jurisprudence ne serait pas complet sans les développements de 2016 qui ont fait remonter la problématique au niveau de la Cour de Justice de l’Union Européenne. L’interprétation de la clause de réparation du Règlement 6/2002 devrait ainsi être idéalement clarifiée et connaitre une approche harmonisée.
1) affaire C397/16
A Milan, alors que les juges de première instance ne voulaient pas s’en remettre à Luxembourg, leurs collègues de la Cour d’appel en ont décidé autrement.
Dans l’affaire C-397/16 (Acacia Srl/Pneusgarda Srl faillie, Audi AG), la Corte d’appello di Milano a donc choisi d’interroger la CJUE, le 18 juillet 2016.
Les questions préjudicielles de la Corte d’appello di Milano sont formulées de la façon suivante :
- Les principes de libre circulation des marchandises et de libre prestation des services dans le marché intérieur, b) le principe d’effectivité des règles de concurrence européennes et de libéralisation du marché intérieur, c) les principes de l’effet utile et de l’application uniforme du droit européen au sein de l’Union européenne, d) les dispositions du droit dérivé de l’Union européenne telles que la directive no 98/71 (1) et, en particulier, son article 14, l’article 1er du règlement no 461/2010 (2) et le règlement UN/ECE no 124, s’opposent-ils à une interprétation de l’article 110 du règlement no 6/2002 (3), contenant la clause de réparation, qui exclurait la jante réplique, esthétiquement identique à la jante originale de première monte, homologuée sur la base du règlement UN/ECE no 124 précité, de la notion de pièce d’un produit complexe (automobile) destinée à en permettre la réparation et à lui rendre son apparence initiale?
- En cas de réponse négative à la première question, les règles relatives aux droits de propriété industrielle sur les modèles enregistrés, après mise en balance des intérêts visés dans la première question, s’opposent-elles à l’application de la clause de réparation s’agissant de produits complémentaires répliques que le client pourrait choisir différemment, au motif que la clause de réparation doit être interprétée de manière restrictive et limitée à des pièces de rechange dont la forme est liée au produit, c’est-à-dire des pièces dont la forme a été déterminée de manière fondamentalement immuable par rapport à l’apparence extérieure du produit complexe, à l’exclusion d’autres éléments considérés comme interchangeables et pouvant être librement montés selon le goût du client?
- En cas de réponse affirmative à la question n°2, quelles mesures le producteur de jantes répliques doit-il adopter pour garantir la circulation légitime des produits destinés à réparer le produit complexe et à lui rendre son apparence extérieure initiale?
2) affaire C-435/16
Moins d’un mois plus tard, on retrouve la société Acacia Srl, cette fois-ci outre-Rhin.
Dans l’affaire C-435/16 (Acacia Srl, Rolando D’Amato/Dr. Ing. h.c. F. Porsche AG.), une demande de décision préjudicielle a été présentée à la CJUE par le Bundesgerichtshof, le 4 août 2016.
Les questions préjudicielles du Bundesgerichtshof sont formulées ainsi :
- L’application de la restriction prévue à l’article 110, paragraphe 1, du règlement (CE) no 6/2002 (1) est-elle limitée aux pièces dont la forme est imposée, c’est à dire aux pièces dont la forme est déterminée, en principe, de façon invariable par l’apparence du produit global et n’est donc pas laissée, -comme le sont notamment les jantes de véhicules automobiles -, au libre-choix du client?
- Dans l’hypothèse où une réponse négative est apportée à la première question:
L’application de la restriction prévue à l’article 110, paragraphe 1, du règlement (CE) no 6/2002 est-elle limitée uniquement à l’offre de produits de conception identique, à savoir de produits correspondant également du point de vue de leurs coloris et de leurs dimensions aux produits d’origine?
- Dans l’hypothèse où une réponse négative est apportée à la première question:
La restriction prévue à l’article 110, paragraphe 1, du règlement (CE) no 6/2002 n’est-elle applicable au profit du vendeur d’un produit qui porte en principe atteinte au dessin ou modèle en cause que si ce vendeur veille de manière objective à ce que son produit ne puisse être acquis qu’à des fins de réparation et non également à d’autres fins telles que, notamment, l’équipement ou l’individualisation du produit global?
- Dans l’hypothèse où une réponse positive est apportée à la troisième question:
Quelles mesures le vendeur d’un produit qui porte en principe atteinte au dessin ou modèle en cause doit-il adopter pour veiller de manière objective à ce que son produit ne puisse être acquis qu’à des fins de réparation et non également à d’autres fins telles que, notamment, l’équipement ou l’individualisation du produit global? Suffit-il à cet égard
a) que le vendeur intègre dans le prospectus de vente l’indication que la vente est réalisée exclusivement à des fins de réparation en vue de rendre au produit global son apparence initiale
ou
b) faut-il que le vendeur subordonne la livraison à la condition que l’acquéreur (distributeur et consommateur) déclare par écrit qu’il n’utilisera le produit proposé à la vente qu’à des fins de réparation?
Compte tenu du parallélisme de ces deux séries de questions ayant le même objet, il est fort probable que, devant la CJUE, ces deux affaires soient regroupées, comme le permet l’article 54 du Règlement de procédure de la Cour de Justice. Les réponses qui y seront apportées auront nécessairement une incidence importante sur la teneur d’une future réforme de la Directive.
En attendant la publication des conclusions de l’avocat général, deux associations d’utilisateurs ont contribué aux débats pour faire valoir leurs points de vues (favorables aux constructeurs automobiles). Le Design Comittee de l’ECTA a publié un document exprimant sa position au sujet de ces questions préjudicielles. L’association allemande GRUR a également publié le 2 octobre 2016 deux avis qu’elle a transmis à la Cour : l’un relativement à l’affaire C-435/16 et l’autre à propos de l’affaire C-397/16 (lequel a été traduit en italien).
Si les réponses qui pourront être apportées à ces questions devaient être favorables aux fabricants de pièces détachées, d’autres complications demeureraient en France. La possibilité de voir l’aspect des pièces de rechanges protégé par le droit d’auteur permettrait de les conserver sous un monopole juridique, dussent les dispositions de l’article 110 faire par ailleurs échec aux droits attachés à l’enregistrement de modèles constitués de l’aspect de ces mêmes pièces.
Et comme le sujet n’est pas épuisé, il n’est pas exclu que l’application de l’article 110 fasse l’objet d’un prochain billet …