Les premières lignes de la motivation d’un arrêt rendu en décembre 2017 par le Tribunal de l’Union Européenne (TUE) sont assez surprenantes.
Le Tribunal avait à connaitre un recours à l’encontre d’une décision de la troisième Chambre de Recours de l’EUIPO, dans une affaire relative à une action en nullité contre trois enregistrements de modèles communautaires sur des cabines de sauna (cabines à infrarouges). Le demandeur à l’action en nullité (requérant devant le TUE) invoquait un défaut de nouveauté des modèles. Il s’agit donc d’un motif absolu de nullité.
Si l’arrêt du TUE est étonnant, c’est en ce qu’il s’attarde sur la notion d’intérêt à agir, malgré le type de motif de nullité invoqué.
Il est vrai qu’il avait été invité par les parties à se pencher sur la question de la recevabilité du recours uniquement sous l’angle de l’intérêt à agir. Le demandeur à l’action en nullité était un ancien distributeur des cabines de sauna du titulaire des modèles communautaires en jeu. Ces modèles communautaires avaient été déposés avec le bénéfice de la priorité de modèles nationaux autrichiens.
Devant le TUE, le titulaire des modèles soutenait en substance que la nullité éventuelle des ses titres communautaires ne libérerait pas la voie pour le requérant, car l’aspect des produits restait protégé en vertu du droit autrichien et l’accès à ce marché lui resterait donc bloqué quoi qu’il en soit. Le requérant répliquait sur ce point en se disant intéressé par des débouchés commerciaux dans d’autres États Membres.
Alors que cette discussion paraissait parfaitement vaine, le Tribunal y a néanmoins accordé une certaine importance, puisqu’il se prononce sur la recevabilité de l’action au regard de l’intérêt à agir du requérant.
Sur cette question, le TUE exprime sa position aux paragraphes 23 et 24 de l’arrêt :
23 Il convient de noter que les dessins ou modèles contestés, indépendamment du bien-fondé de l’allégation de l’intervenante selon laquelle ils sont protégés en vertu du droit autrichien, bénéficient d’une protection sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne, en vertu de l’article 1er, paragraphe 3, du règlement no 6/2002, en tant que dessins ou modèles communautaires enregistrés. Par conséquent, la requérante dispose d’un intérêt à voir annuler les décisions attaquées aux fins de pouvoir commercialiser les cabines à infrarouge susvisées sur l’ensemble du territoire de l’Union.
24 Il s’ensuit que la fin de non-recevoir soulevée par l’intervenante doit être rejetée.
Ainsi il est clair que, d’une part, le tribunal a effectivement recherché si le requérant disposait bien d’un intérêt à agir (dernière phrase du paragraphe 23) et que, d’autre part, la décision à laquelle le tribunal aboutit sur cet aspect au paragraphe 24 est déduite des constatations faites à la fin du paragraphe 23 (“Il s’en suit que…”).
Tout ceci apparait pour le moins fort maladroit. En effet, l’action en nullité de marques de l’Union Européenne ou de modèles communautaires enregistrés basée sur des motifs absolus est ouverte à toute personne ayant la capacité d’ester en justice, sans que cette action ne soit soumise à d’autres conditions, comme par exemple l’existence d’un intérêt à agir.
En droit français, la solution est inverse : l’article 31 du Code de procédure civile soumet la possibilité d’agir en justice à l’existence d’un intérêt, qui doit être personnel au demandeur. Les parties à l’affaire rapportée étaient toutes deux autrichiennes. Dans ce pays l’intérêt à agir (Rechtsschutzinteresse) semble également être une condition de recevabilité des actions judiciaires. Ces règles de procédure nationales ne s’appliquent pas aux procédures engagées auprès de l’Office Communautaire.
Le Règlement sur les dessins ou modèles communautaires est assez clair à propos des actions nullité. De surcroit, dans une affaire relative à la nullité pour motif absolu d’une marque communautaire, la CJUE a déjà eu l’occasion d’aller au fond des choses sur ce point de droit.
Concernant les actions en nullité de modèles communautaires, l’article 52.1 du Règlement 06/2002 prévoit simplement que :
1. Sous réserve de l’article 25, paragraphes 2, 3, 4 et 5, toute personne physique ou morale, ainsi qu’une autorité publique habilitée à cet effet, peut présenter à l’Office une demande en nullité d’un dessin ou modèle communautaire enregistré.
De la même manière, pour les actions en nullités engagées à titre principal (et donc devant l’EUIPO) à l’encontre des marques de l’Union Européenne, le Règlement 2017/1001 sur la marque de l’Union Européenne comporte un article 63 qui prévoit que :
Une demande en déchéance ou en nullité de la marque de l’Union européenne peut être présentée auprès de l’Office:
1. dans les cas définis aux articles 58 et 59 [causes de déchéance et causes de nullité absolue], par toute personne physique ou morale ainsi que par tout groupement constitué pour la représentation des intérêts de fabricants, de producteurs, de prestataires de services, de commerçants ou de consommateurs et qui, aux termes de la législation qui lui est applicable, a la capacité d’ester en justice;
(…)
Ces dispositions correspondent à celles de l’article 55.1 du précédent Règlement 40/94. La question de savoir si l’intérêt à agir était une condition de recevabilité des actions en nullité basées sur l’article 55 de l’ancien Règlement a donné lieu à un arrêt assez limpide (CJUE, 25 février 2010, aff. C-408/08 « Color Edition ») ayant jugé que le tribunal avait retenu à bon droit :
que, alors que les motifs relatifs de refus d’enregistrement protègent les intérêts des titulaires de certains droits antérieurs, les motifs absolus de refus d’enregistrement ont pour objet la protection de l’intérêt général qui les sous-tend, ce qui explique que l’article 55, paragraphe 1, sous a), du règlement n’exige pas du demandeur qu’il démontre un intérêt à agir.
Il parait donc assez clair que l’intérêt à agir n’est pas une condition de recevabilité des actions au principal en nullité contre les titres communautaires (marques de l’UE ou modèles communautaires enregistrés).
Quant au recours devant les juridictions communautaires, il est prévu par l’article 61 du Règlement 06/2002, qui n’ajoute pas de condition d’intérêt à agir en nullité.
Dans le cas présent, gageons que la constatation d’un intérêt à agir constitue seulement une façon malhabile pour le Tribunal de déclarer l’action recevable.
Référence :
TUE (deuxième chambre), 13 décembre 2017 , affaire T‑114/16, Delfin Wellness GmbH / EUIPO, Sabine Laher