Ce troisième billet dans la série sur la marque Bateaux Mouches, annoncé depuis un petit moment, a failli sombrer dans l’oubli. L’actualité fait remonter la série à la surface : un recours vient d’être engagé contre l’arrêt du TPI rendu en décembre 2008. En attendant de connaitre la position de la CJCE sur la validité de cette marque, examinons donc à présent cet arrêt du TPI.
Juste pour un contexte plus large, on peut revoir les épisodes précédents : premier billet (annulation de la marque française), deuxième billet (a scandal in the family).
On verra ici que le juge communautaire est plus sévère que le juge français.
Troisième affaire : le sort de la marque communautaire remonte au TPI
Voici donc l’instance qui nous intéresse. Elle concerne la validité de la marque communautaire n°001336122 (signe et libellé identiques à la marque française).
Dans un premier temps, par une décision de la Division d’Annulation du 4 aout 2005 (dossier 000000839), l’OHMI considère que la marque n’est pas intrinsèquement distinctive (sauf pour les services d’hôtellerie à bord des bateaux, lesquels à vrai dire ne sont exploités par personne), mais admet la validité de la marque car elle a acquis son caractère distinctif par l’usage qu’en a fait son titulaire.
La Division d’Annulation retient en effet qu’a été démontré l’usage ancien de la marque pour les services en cause et que l’emploi du sigle «®», qui n’a pas de valeur juridique en France mais aurait « donné lieu à une prise de conscience par le public ciblé du fait que le vocable «BATEAUX-MOUCHES» est une marque désignant les services de transports par bateaux touristiques et de plaisance ; de divertissements et de restauration à bord de bateaux pour la navigation touristique et de plaisance« .
Cette décision est infirmée dans un deuxième temps par celle de la Chambre de recours du 7 septembre 2006 (R 1172/2005-1).
Deux choses à noter à ce niveau :
- le caractère générique de l’expression « bateaux mouches » pour les embarcations (arrêt de la Cour d’appel de Paris à propos de la marque française), c’est à dire les produits, et le fait que ces embarcations soient utilisées pour transporter des touristes sur la Seine depuis des décennies permet à la Chambre de Recours de déduire que pour les services de la classe 39 (transport) la marque est également dépourvue de caractère distinctif.
- les documents versés ne permettent pas d’admettre l’acquisition du caractère distinctif par l’usage.
Sur le premier de ces deux points, la Chambre de Recours tient le raisonnement suivant :
Le nom d’un véhicule, quel qu’il soit, ne peut être considéré comme distinctif pour des services dont le public pertinent sait qu’ils sont habituellement proposés ou potentiellement proposables à son bord. C’est le cas, par exemple, des mots « paquebot », « voilier », « avion long courrier», « train », etc., et bien entendu, « bateau mouche ».
Arrive donc l’arrêt du TPI du 10 décembre 2008 (affaire T-365/06), qui globalement reste sur la position de la Chambre de Recours : la marque n’est pas intrinsèquement distinctive – que ce soit pour les produit ou pour les services visés – et n’a pas acquis le caractère distinctif qui lui faisait défaut par l’usage qu’en a fait son propriétaire.
Le tribunal considère que « bateau-mouche » est « la dénomination commune, en langue française, d’un type d’embarcation, à savoir un bateau destiné au transport de voyageurs par voie fluviale à des fins touristiques » (§22), selon un dictionnaire.
Dans le même sens, des guides touristiques et des pages webs (non datés) « se réfèrent à l’expression « bateau mouche » ou au terme « bateau-mouche » pour indiquer un type d’embarcation pour le transport touristique fluvial à bord de laquelle des sociétés offrent des services sur la Seine ou sur d’autres fleuves dans la Communauté européenne » (§24).
Le TPI a également pris note du fait que l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 27 octobre 2000 a annulé la marque française BATEAUX MOUCHES pour les « constructions navales et parties constitutives et plus particulièrement bateaux pour la navigation touristique », faute de caractère distinctif de l’expression en 1950 (un élément de preuve étant à cet égard un album de Babar).
Du reste, peu importe pour le TPI qu’à l’époque du dépôt de la marque française celle-ci ait été distinctive ou non, car cette qualité a pu se perdre « en raison de [l’]utilisation [de l’expression bateaux mouches] par des tiers en tant que dénomination usuelle d’un produit ou d’un service« .
Peu importe également pour le TPI que la marque ait été placée sous surveillance et que des lettres de mise en demeure aient été envoyées « à certains éditeurs de dictionnaires » ou afin d’obtenir des « publications d’errata dans la presse et les engagements d’autres sociétés à ne pas utiliser l’expression « bateau mouche » d’une façon générique ».
Selon le TPI « il s’agit d’éléments qui ne sont pas de nature à prouver que le ladite marque possède un caractère distinctif intrinsèque. » Mais en réalité, les interventions en question visent à prouver que le titulaire de la marque n’est pas resté à siroter une pina colada jusqu’au moment où il a déposé sa Marque Communautaire.
L’argument de l’acquisition du caractère distinctif par l’usage était également soulevé.
La Compagnie des Bateaux Mouches indique que ceci résulte notamment d’opérations telle que l’inauguration d’un buste de Jean-Sébastien Mouche. Ce personnage fictif créé par Robert Escarpit est présenté comme étant le créateur des bateaux mouches et d’un corps d’inspecteurs de la police spécialisés dans le renseignement, les « mouchards« .
Globalement l’argument est rejeté pour les raisons suivantes :
- il n’est pas établi que la surveillance de la marque et l’envoi de mises en demeure aient donné lieu à une prise de conscience par le public ciblé du fait que l’expression « bateaux mouches » est une marque
- une partie des articles de presse présentés au soutient de cet argument n’est pas recevable pour des questions de date :
- certains documents sont postérieurs au dépôt de la demande en nullité
- ou inversement, les extraits d’articles de presse qui remontent aux années 50 ou au début des années 60 ne peuvent pas fournir des indices quant au caractère distinctif de la marque en cause au moment du dépôt de la demande d’enregistrement ou de la demande de nullité.
- de plus, l’expression « bateaux mouches » est citée dans ces documents comme une référence à un type d’embarcation pour le transport en commun ou le transport de touristes sur la Seine et non en tant que référence à l’origine commerciale des services.
La marque est donc complètement torpillée par le TPI, selon qui « le public pertinent [ne peut identifier], grâce à la marque BATEAUX MOUCHES, les services contestés comme provenant de la requérante« .
Et comme indiqué en introduction, cet arrêt du TPI fait l’objet d’un recours. L’histoire n’est donc pas terminée.