Suite de la saga sur le développement de la jurisprudence sur les liens sponsorisés : la dernière décision en date est une ordonnance en la forme des référés, rendue le 11 octobre 2006 par Madame le Vice-Président de la 3ème Chambre 3ème Section du TGI de Paris (ordonnance disponible sur Juriscom.net).
Avec le recul on voit deux tendances se développer sur la question de la responsabilité des prestataires (ou régies) de liens sponsorisés sous le régime de la contrefaçon (sans parler de la question de la publicité trompeuse, autre sujet de division au sein de la jurisprudence).
Le courant "classique" condamne les régies publicitaires au titre de la contrefaçon. C’est par exemple la teneur des décisions rendues dans les affaires "CNRRH" (arrêt mentionné précédemment) ou "Espace 2001".
Le jugement rendu par le TGI de Nanterre dans l’affaire CNRRH expose un raisonnement qui souligne la nécéssité pour la régie de proposer aux annonceurs des termes pertinents, c’est à dire en liaison avec le domaine d’activité qui les intéresse. Ceci implique que le terme litigieux apparaitra dans le contexte du domaine de spécialité de la marque en cause.
Les juges avaient donc retenu que :
"La société Google n’est pas un concurrent de la société CNRRH. Elle n’a pas d’activité dans le même domaine. Cependant, elle a reproduit la marque Eurochallenges dans sa liste de mots clés afin de la proposer à ses clients annonceurs exerçant notamment dans la meme activité que les services désignés par la marque.
Elle exploite donc bien la marque Eurochallenges à titre de marque.
Ainsi même si son activité n’est pas identique ou similaire à celle protégée par la marque Eurochallenges, il n’est pas contestable que son activité consiste à proposer et vendre des espaces publicitaires constitués par des liens commerciaux de clients qui ont eux, une activité identique ou similaire avec la marque. De fait, si la marque proposée comme mot clé n’avait aucun rapport avec l’activité du client souhaitant avoir un lien commercial, ce dernier ne le sélectionnerait pas comme mot clé déclenchant l’affichage du lien."
Le jugement avait également tenu pour indifférent le fait « que la marque n’apparaisse pas telle quelle dès lors qu’elle est clairement utilisée pour faire apparaître les sites commerciaux sur la page de recherche. »
En appel ces deux points du raisonnement ne sont pas remis en question par la Cour de Versailles.
A propos de la seconde affaire ("Espace 2001" -jugée par la 3ème Chambre 2ème section du TGI de Paris-), j’avais rappelé dans une brève publiée sur Juriscom.net que :
Pour retenir qu’il y a bien usage – au sens de l’article L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle – par Google du signe litigieux, le tribunal expose que dans le cadre du service de générateur de mots clé, « c’est Google et non pas l’annonceur qui fait apparaître à l’écran le terme litigieux ». Cet usage n’intervient pas hors du champ de protection de la marque puisque dans la liste des termes suggérés, « l’apparition de ce signe est réalisée en fonction de l’activité menée par l’annonceur ; (…) il s’agit en effet pour Google de proposer des mots clés pertinents ».
A l’inverse, d’autres juges estiment que de tels agissements de la part de la régie ne sont condamnables qu’au titre de la responsabilité civile. La raison avancée est que la régie n’ayant pas proposé au consommateur sous la marque en cause les produits ou services pour lesquels elle est protégée, il n’est en quelque sorte pas fait usage de cette marque par la régie lorsque l’annonceur procède à la réservation du terme en tant que mot clé (affaire Cartephone), voire même quand la réservation du terme est suggérée par la régie (affaire Gifam et l’espèce rapportée).
Ainsi il a été jugé à propos de la réservation d’une marque comme mot clé par un concurrent que "cet usage du signe [par le prestaire de liens sponsorisés] ne s’accompagne d’aucune proposition de produits ou services visés à l’enregistrement de la marque opposée mais participe d’une activité de prestataire de services de publicité" (TGI Paris, 3ème chambre – 2ème section, 8 décembre 2005, affaire "Cartephone", jugement disponible sur Juriscom.net). A noter : il n’était pas question de suggestion de mot clé par la régie dans cette affaire.
A la suite de ce jugement, celui rendu le 12 juillet 2006 dans l’affaire Gifam va plus loin : en substance la régie n’est pas contrefactrice quand bien même ses outils d’assistance à la séléction de mots clés auraient suggéré aux annonceurs la réservation de termes correspondant aux marques de tiers !
On relèvera que les jugements "Cartephone" et "Gifam" n’ont pas la même appréciation sur la notion d’usage : le terme est employé dans le premier cas (cf. ci-dessus), mais rejeté dans le second (pour des motifs, repris en partie par l’ordonnance rapportée, auxquels il conviendrait de consacrer une étude spécifique).
Pour revenir à l’ordonnance de l’espèce qui suit donc ce "revirement", la demande d’interdiction d’usage de la marque, fondée sur les dispositions de l’article L 716-6 du CPI, est rejetée. Le magistrat qui a rendu cette décision fait explicitement référence au jugement Gifam (par ailleurs frappé d’appel) à la rédaction duquel il avait pris part.
Selon l’ordonnance, l’une des conditions posées par l’article L 716-6 n’est pas remplie : l’action en contrefaçon de marque engagée au fond n’a pas de chances sérieuses d’aboutir favorablement car
La conclusion s’impose : les futurs arrêts de la Cour de Cassation sont attendus avec impatience pour leur effet harmonisateur escompté. Dans l’intervalle la voix pragmatique du Conseil rappellera
- que l’ouvrage des éditions Lamy consacré au droit des médias et de la communication contient une étude sur l’ensemble des décisions publiées en matière de liens publicitaires (mon implication dans la rédaction et la mise à jour de cette étude justifie le lien promotionnel ci-avant)
- que les titulaires de marques ne doivent jamais oublier que «Tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.»