L’expression SPEED DATING peut-elle être monopolisée par un dépôt de marque – et la réservation d’un nom de domaine – pour désigner des services de rencontres ?
La question se pose en premier lieu au regard des dispositions de l’article L711-2 du Code de la PI, qui prévoient que ne peuvent être protégés :
« a) Les signes ou dénominations qui, dans le langage courant ou professionnel, sont exclusivement la désignation nécessaire, générique ou usuelle du produit ou du service ;
b) Les signes ou dénominations pouvant servir à désigner une caractéristique du produit ou du service, et notamment l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique, l’époque de la production du bien ou de la prestation de service ;
(…) »
En première instance, un jugement (disponible sur Juriscom.net1) avait retenu que la marque SPEED DATING déposée en avril 2002 était valable et que l’emploi de cette expression par les défendeurs pour désigner des services identiques était donc contrefaisant.
Les défendeurs contestaient la validité de la marque par la production d’articles mentionnant l’expression « speed dating », publiés dans Biba, Le Point, L’Express, Cosmopolitan et Libération entre juin 2001 et avril 2002. Avec ces preuves, ils soutenaient qu’avant même le dépôt de la marque, l’expression litigieuse était d’un usage courant.
Le tribunal ne fut pas convaincu. En substance, il retenait que certes les auteurs des articles employaient l’expression litigieuse, mais pour désigner des services de rencontres proposés seulement à l’étranger et que l’usage de cette expression n’était ni nécessaire ni usuel, puisque des équivalents français figuraient également dans les articles versés aux débats.
Ainsi pouvait on lire que :
« l’article Biba est consacré à Londres et explique le concept en le traduisant en français par l’expression « drague accélérée », que l’article de l’Express de juin 2001 mentionne rapidement le concept, en le traduisant par « drague expresse », comme ayant été inventé par les américains, et celui de février 2002 concerne l’arrivée du « Speed Dating » à Berlin en Allemagne, l’article du Point est consacré à New York et explique le principe, l’article de Cosmopolitan est également consacré à ce phénomène aux Etats-Unis de même que l’article de Femmes. Enfin, l’article de Libération est manifestement un article promotionnel suscité par les demandeurs qui y sont cités de même que leurs tarifs.
Ainsi, s’il est exact que l’expression n’a pas été inventée par les demandeurs, mais il ne le revendiquent pas, force est de constater qu’elle n’est que très peu mentionnée avant avril 2002 et seulement pour parler du phénomène aux Etats-Unis puisque aucun article n’est consacré à la France. De plus l’ensemble de ces articles donne une traduction de l’expression ainsi qu’une définition ce qui démontre amplement qu’il ne s’agit pas d’une expression usuelle entrée dans le langage courant, auquel cas cela ne serait pas nécessaire. Le fait que l’expression ait pu être usuelle aux Etats-Unis est sans influence en France où la protection est revendiquée.
Enfin il convient de souligner que l’expression « Speed Dating » est une expression anglaise qui ne constitue pas la désignation nécessaire du service en question. En effet, d’une part, ainsi qu’il a été dit, la mention de l’expression dans les journaux nécessite une traduction en français et, d’autre part, comme l’indique les demandeurs le concept est désigné par d’autres sociétés par des expressions telles « Turbo-dating, Flash and date » etc…
Le tribunal en conclut en conséquence que la marque « Speed Dating » avait en France lors de son dépôt un caractère distinctif susceptible de protection au titre du droit des marques. »
La marque étant déclarée valide au jour de son dépôt, restait en second lieu la possibilité de la faire tomber pour dégénérescence (comme le prévoit l’article L714-6 du CPI). Là encore, les juges écartèrent la demande reconventionnelle, tout en reconnaissant
« qu’effectivement il est difficile de protéger totalement une marque qui a un faible caractère distinctif. Cependant, il y a lieu de reconnaître que les demandeurs ont fait nombre de démarches pour empêcher l’usage illicite de leur marque afin de ne pas la banaliser. De plus, ils sont obligés d’admettre le droit de citation de leur marque tel qu’il résulte des dispositions de l’article L 713-6 du code de la propriété intellectuelle. »
Comme indiqué rapidement dans un billet antérieur, ce jugement est infirmé par un arrêt du 21 septembre 2006 (également disponible sur Juriscom.net), lequel prononce la nullité de la marque SPEED DATING pour défaut de distinctivité au regard des services d’organisation d’évenements relationnels, orgnaisation de rencontres rapides pour les particuliers et les professionnels.
A hauteur d’appel, les preuves fournies par les présumés contrefacteurs sont complétées et l’appréciation de leur pertinence par les juges est quelque peu différente.
En effet, citant les parutions d’articles déjà évoquées en première instance, l’arrêt considère que les pièces produites par les présumées contrefacteurs « démontrent qu’à [la date du dépôt de la marque], l’expression Speed Dating désignait déjà des services de rencontres entre célibataires, depuis au moins 1999, date de la création du concept par le rabbin Deyo, et était très largement utilisée pour qualifier ce type de services, spécialement en France, par la presse et les grands hebdomadaires généralistes français depuis janvier 2001« .
Constitue également un élément déterminant aux yeux de la Cour, la diffusion en février 2002 d’un reportage dans l’émission Envoyé Spécial dans lequel « était annoncée l’arrivée en provenance des Etats-Unis de cette technique de rencontres dénommée « speed dating« ».
Cette couverture médiatique, et le fait que le concept soit rapidement devenu « phénomène de société« , conduisent la Cour à considérer que
« le vocable SPEED DATING était, avant le dépôt de la marque en cause, la désignation usuelle et générique, non seulement pour la presse mais dans le langage français, d’un service de rencontres rapides entre célibataires« .
L’expression « speed dating », du fait de son absence de caractère distinctif intrinsèque pour les services en cause, ne peut donc être protégée à titre de marque. On pourrait croire que la même raison justifie que le nom de domaine speedating.fr, invoqué parallèlement à la marque, ne soit pas protégé (sous le régime de la concurrence déloyale) en tant que signe distinctif. Tel n’est pas le cas : si sa protection est écartée par l’arrêt, c’est parce que le titulaire du nom de domaine n’a pas apporté la preuve de son exploitation précisément pendant la semaine durant laquelle se sont déroulés les faits litigieux ! Sur ce point particulier, la motivation de l’arrêt, qui semble ajouter une nouvelle condition à la protection sui-generis des noms de domaine, est sans doute plus maladroite que pertinente.
Références :
- TGI Nanterre, 7 mars 2005, Mlle K., M. D. et Select and Perfect c/ Nouveau Jour et Etam (Juriscom.net)
- CA Versailles, 21 septembre 2006, Sarl Nouveau Jour, Deborah K, Arnaud D, sté Select & Perfect c/ SA Etam (Juriscom.net)
NB : l’arrêt du 21/9/2006 fait l’objet d’un pourvoi en cassation.
[article repris sur Juriscom.net]
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1 : voir également le billet de Cédric Manara, 21 mars 2005.