Dans l’affaire qui oppose le GIFAM et ses membres aux sociétés Google, la 4ème Chambre Section B de la Cour d’appel de Paris a rendu un arrêt qui condamne le prestataire de liens sponsorisés pour contrefaçon de marques.
Cette décision a une importance capitale car elle donne un coup d’arrêt au courant jurisprudentiel qui s’était démarqué des premières décisions relatives à l’usage de marques de tiers pour l’affichage de liens publicitaires. Ce carton rouge pour Google mérite une attention particulière à l’heure où l’on parle de « web sémantique » et où le commerce -ainsi que les atteintes aux droits- se multiplient dans la « longue traine », là où les valeurs unitaires et les durées d’exploitation sont plus réduites et conduisent donc moins souvent à déployer l’artillerie lourde contre les infractions.
Pour schématiser, les premières décisions en matière de liens publicitaires avaient retenu le grief de contrefaçon à l’encontre de Google (voir par ex. ce que j’avais écrit pour Juriscom.net à l’époque).
Puis dans un deuxième temps certains tribunaux ont estimé que Google n’utilisait pas les marques en cause pour identifier les produits ou services pour lesquelles celles-ci étaient enregistrées. La contrefaçon était donc écartée. Cependant la responsabilité civile de Google pouvait être retenue si les marques étaient présentées aux annonceurs par l’outil de suggestion de mots clés du prestataire (ou si les marques étaient notoirement connues). L’argument qui avait conduit à ce revirement consistait à dire que Google fournit un service publicitaire et non les produits ou services visés par les marques invoquées (cf. Jean-Frédéric Gaultier et Marie Jourdain, Liens sponsorisés : Google est-elle une agence matrimoniale ? , Juriscom.net, 30/05/2005 -qui va au delà de cette simple critique-; voir aussi mon billet sur l’affaire Citadines).
L’arrêt du 1er février 2008 retient que Google est contrefacteur, du fait des réponses fournies par son outil de suggestion de mots clés.
Les juges estiment en effet :
« que dans le service “Adwords” Google intervient en tant que prestataire publicitaire ; que la rémunération de Google est fonction notamment de la fréquence de consultation du site de l’annonceur ;
Que sa prestation s’inscrit ainsi incontestablement dans la vie des affaires ;
Que lorsque l’annonceur sollicite le générateur de mots-clés, il s’interroge sur le ou les mots-clés les plus pertinents pour faciliter la consultation de son site et ce, en fonction de l’activité qu’il y développe ou du moins qu’il veut y développer ;
Qu’il interroge donc le service de Google par rapport à un produit ou à un ensemble de produits désignés ;
Que le générateur de mots-clés va répondre à son interrogation en lui fournissant les requêtes les plus fréquentes des internautes et les signes les plus fréquemment saisis, signes parmi lesquels se trouvent, comme indiqué ci-dessus (procès verbal des 18 et 19 avril 2005) à propos des équipements ménagers, de nombreuses marques dont celles des membres du Gifam ;
Que dans cette opération, c’est bien Google qui fait apparaitre ces marques à l’écran de l’internaute en association avec les produits ou services, objets de l’interrogation ;
Que l’usage de ces signes déposés à titre de marques est dès lors bien un usage à titre de marque, c’est à dire dans la fonction d’individualisation de produits ou services ; »
Autrement dit, Google n’est peut être pas une agence matrimoniale ou un fabricant d’électroménager, mais ses outils de suggestion avancent des marques d’électroménager à qui veut passer des annonces dans ce domaine et indiquent des marques d’agences matrimoniales à qui recherche des mots clés pour faire de la publicité dans ce créneau.
Sur la question de la contrefaçon des marques lors de l’affichage des annonces elles-mêmes (et de l’éventuelle imputabilité de la responsabilité de ce fait à Google), alors qu’il semble que la Cour parisienne aurait pu suivre la solution de son homologue aixoise (affaire TWD Industries), Google souligne fort à propos que rien ne permet d’exclure l’application de l’exception prévue à l’article L713-6 b) du Code de la Propriété Intellectuelle.
Les usages litigieux seraient en effet selon Google le fait de revendeurs de produits authentiques ou de sites de comparaison de prix. Or le Gifam n’a pas démontré d’atteinte (se contentant d’incriminer « globalement un ensemble d’annonces qui obéissent à des finalités bien distinctes, sans procéder dans ses écritures à l’analyse précise de leur contenu« ) et, face aux allégations de Google, « n’a pas cru devoir appeler dans la cause les responsables de ces annonces« . C’est donc une question intéressante qui reste ici en suspens.
On notera aussi sur les questions de preuves que la quatrième Chambre B interrogée sur la validité d’un constat APP en matière de contrefaçon de marque refuse d’écarter ce moyen de preuve (contrairement à un autre arrêt parisien du 31 octobre 2007, en matière de contrefaçon de brevet).
Au final, l’addition est salée pour Google qui devra indemniser chaque titulaire de marque et plus symboliquement le Gifam. Avec 28 société appelantes aux cotés du Gifam (pour 25 marques en jeu), on arrive à un total qui dépasse les 300 000 euros de dommages et intérêts (plus précisément (10 000 + 1 500) * 28 + 1 000).
Référence : CA Paris, 4è ch B, 1/2/2008, disponible sur la Gazette du Net (merci à Benoit Tabaka) et sur Juriscom
GOOGLE n’est effectivement condamné que pour l’affichage des marques dans son générateur de mots-clés. On sait qu’en interrogeant cet outil à partir d’un terme générique (tel que « réfrigérateur ») celui-ci dresse la liste des requêtes les plus fréquentes effectuées par les internautes en rapport avec ce mot initial. Parmi ces réponses peut naturellement figurer des marques de réfrigérateurs.
Les réponses fournies par le générateur de mots-clés sont précédées d’une alerte claire et conforme aux recommandations du Forum des Droits de l’Internet à savoir : Important : Le Générateur de mots clés recense de façon automatique une liste de requêtes courantes effectuées sur le moteur de recherche de Google, en rapport avec le mot clé que vous avez saisi. Les termes énumérés ne vous sont pas conseillés ni recommandés et Google ne peut garantir que ces mots clés amélioreront les performances de votre campagne. Nous nous réservons également le droit de désapprouver tout nouveau mot clé sélectionné.
Important : Le Générateur de mots clés recense de façon automatique une liste de requêtes courantes effectuées sur le moteur de recherche de Google, en rapport avec le mot clé que vous avez saisi. Les termes énumérés ne vous sont pas conseillés ni recommandés et Google ne peut garantir que ces mots clés amélioreront les performances de votre campagne. Nous nous réservons également le droit de désapprouver tout nouveau mot clé sélectionné.
Vous êtes seul responsable des mots clés que vous sélectionnez et devez vous assurer que leur utilisation n’enfreint aucune législation ni ne porte atteinte aux droits de tiers, notamment au regard du droit des marques et de la concurrence déloyale. Avant de sélectionner un mot clé, vous devriez vérifier qu’il ne s’agit pas d’un terme protégé (marque, nom commercial, dénomination sociale) en consultant un registre des marques (ex: http://www.icimarques.com) et des sociétés (ex: http://www.euridile.com). »
La présence de ces recommandations est indifférente pour la Cour d’Appel de Paris dans la mesure où » le fait ici incriminé n’est pas le choix par les annonceurs d’un signe déposé à titre de marque mais le choix de GOOGLE de reproduire, en réponse à une sollicitation d’un annonceur, un ou des signes déposés à titre de marque, ce qui constitue une captation du pouvoir attractif de ceux-ci dans le champ des produits pour la désignation desquels ils ont été enregistrés. »
Il existerait donc une utilisation autonome de GOOGLE, indépendante de celle des annonceurs (qui en l’espèce avaient fait un emploi légitime des marques en cause) qui consiste à établir un lien de type statistique entre la marque fréquemment saisie par les internautes et le vocable correspondant aux produits visés par cette marque.
Ce que sanctionne la Cour c’est donc le simple fait d’informer un annonceur que la marque « Whirlpool » (par exemple), est l’une des requêtes fréquemment saisies par les internautes qui ont recherché « réfrigérateur », étant précisé que GOOGLE ne lui conseille pas nécessairement de la sélectionner et qu’une sélection éventuelle -notamment des revendeurs de produits authentique- s’avère parfaitement licite.
J’aimerais connaître votre opinion sincère et personnelle : Pensez-vous fondamentalement qu’un tel usage a effectivement pour objet de distinguer des réfrigérateurs et est réellement susceptible de porter atteinte aux fonctions de la maque, notamment à sa fonction essentielle d’indicateur d’origine ?
Ne voyez-vous aucune contradiction dans le fait d’affirmer que les annonceurs pouvaient choisir les marques en cause (Whirlpool, Electrolux, Candy etc.) mais que Google, par contre, ne pouvait pas leur indiquer qu’il s’agissait de requêtes fréquentes sur Internet ?