Alors qu’est attendue avec impatience la position de la CJCE sur les notions d’usage et de responsabilité quand les signes distinctifs de tiers font apparaitre des liens publicitaires, un jugement du tribunal de commerce de Paris a récemment été rendu sur ce sujet – sujet de prédilection pour le pMdM -.
L’affaire est jugée au tribunal de commerce (et non au TGI) étant donné que le demandeur n’invoque aucune marque (étrangement le demandeur, la société Cobrason, ne s’est soucié de déposer la marque Cobrason qu’en août 2008). Sont invoqués la dénomination sociale Cobrason et le nom de domaine cobrason.com, lesquels constituent des signes distinctifs dont la protection est assurée par l’action en concurrence déloyale.
Les principes retenus ne sont pas surprenants et suivent des solutions déjà établies, le jugement n’étant d’ailleurs pas avare de citations pour exposer une jurisprudence qu’il « fait sienne » en guise de motivation. On ne s’attardera donc pas sur les faits et la solution dégagée.
En revanche ce jugement mérite une certaine attention concernant l’évaluation du préjudice. La société Cobrason justifie le montant de 50 000 euros qu’elle réclame, de la façon suivante :
- selon le rapport même de Google, 1257 internautes ont cliqué sur l’annonce durant les six mois où le signe Cobrason a été rapproché de celui de l’annonceur concurrent,
- le panier moyen d’un client de la société Cobrason est de 700 euros (chiffre certifié par le commissaire aux comptes de la société),
- un taux de transformation de 5 % des personnes ayant eu recours au lien commercial représente 71 (sic!) personnes (sur les 1257) qui auraient effectué un achat à la suite d’un clic sur l’annonce
Le raisonnement « paraît raisonnable au Tribunal« , qui accorde donc 50 000 euros au titre de la concurrence déloyale (le calcul de l’évaluation du préjudice selon le raisonnement et les chiffres exposés donne exactement 43 995 €, car 5% de 1257 représente 62.85). Le même montant est alloué en réparation des actes de publicité de nature à induire en erreur et ces deux postes de dommages et intérêts sont à payer in solidum par Home Ciné Solutions et les sociétés Google.
En conclusion, j’ajouterais deux remarques :
- c’est une excellente chose que l’évaluation du préjudice soit justifiée par le demandeur, charge qui lui incombe mais qui en pratique est rarement remplie, tout du moins de façon réaliste et appuyée. Néanmoins ici l’arrondi allègrement effectué n’est pas négligeable (6000 €).
- on considère que le préjudice est lié uniquement aux achats détournés. Cette évaluation est mise en œuvre dans d’autres décisions. Pourtant le simple affichage de l’annonce, sans clic (et à plus forte raison sans achat dévié) devrait être considéré comme constitutif d’un préjudice : le mal est fait déjà à ce niveau là puisque l’annonceur indélicat fait connaitre sa propre annonce et l’adresse de son site (comme une annonce sur un panneau d’affichage, dans un magazine, à la radio ou à la télévision). Cette composante du préjudice a été par exemple retenue par la 3è section de la 3è chambre du TGI de Paris (jugement du 19 octobre 2005, Free / Noos : le montant des dommages et intérêts, fixé à 30 000 euros est fixé en tenant compte « notamment de la visibilité offerte par le moteur de recherche Google« ).
Référence :
Tribunal de commerce de Paris, 15ème chambre
Jugement du 23 octobre 2008
Cobrason / Google, Home Ciné Solutions