Un amendement zombie s’est glissé à l’Assemblée Nationale.
Ce texte porte sur un sujet déjà évoqué sur le pMdM : la possibilité pour les médicaments génériques d’adopter le même aspect que le princeps (spécialité de référence au sens de l’article L.5121-1 du Code de la santé). Par deux fois, une telle réforme a été votée, puis envoyée six pieds sous terre par le Conseil Constitutionnel.
On ne trouve donc rien de nouveau dans l’amendement n°174, présenté par le député Arnaud Robinet.
Cet amendement qui s’est greffé sur projet de loi N° 3714 relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, est formulé comme suit :
ARTICLE ADDITIONNEL
APRÈS L’ARTICLE 30, insérer l’article suivant :
Après l’article L. 713-6 du code de la propriété intellectuelle, il est inséré un article L. 713-7 ainsi rédigé :
« Art. L. 713-7. – L’enregistrement d’une marque protégeant l’aspect tridimensionnel ou la couleur de la forme pharmaceutique d’une spécialité de référence ne permet pas à son titulaire d’interdire l’usage par un tiers du même signe ou d’un signe similaire pour une spécialité générique au sens du 5° de l’article L. 5121-1 du code de la santé publique, destinée à être substituée à cette spécialité de référence dans les conditions prévues par l’article L. 5125-23 dudit code, pour autant que cet usage ne soit pas tel qu’il donne l’impression qu’il existe un lien commercial entre le tiers et le titulaire de la marque. ».
EXPOSÉ SOMMAIRE
Cet article entend faciliter le développement des médicaments génériques et favoriser l’observance des traitements en créant une dérogation à la protection des droits de propriété intellectuelle pour ce qui concerne certains éléments non essentiels du médicament de référence (couleur, forme).
En effet, certaines personnes, notamment les plus âgées, ont parfois des difficultés d’observance de traitements, perturbés par le changement d’apparence du générique par rapport à son princeps. Cet amendement vise donc à autoriser les spécialités génériques à disposer des mêmes caractères d’apparence que les spécialités de référence auxquelles elles se substituent sans pour autant porter atteinte aux règles de protection des marques et dessins.
Nous retrouvons ici trois défauts, dont un majeur, et un risque :
- L’ignorance d’un échelon communautaire dans le droit de la propriété industrielle. Rappelons ce que Gilles Ringeisen écrivait à propos de la hiérarchie des normes sur le pmdm.fr en décembre 2009 :
« dans la hiérarchie des normes, et conformément à l’article 55 de la Constitution française, les traités internationaux ont une valeur supérieure à la loi.
Il s’ensuit que tant le Règlement (CE) 40/94 du 20 décembre 1993 instaurant la marque communautaire (aujourd’hui remplacé par le Règlement (CE) 207/2009 du 26 février 2009) que le Règlement (CE) 6/2002 du 12 décembre 2001 instaurant les dessins ou modèles communautaires, constituent des normes supérieures à la loi, et ne sauraient, à notre sens, être affectés ou le champ de protection qu’ils confèrent être limité, par une « simple » loi française. »
- Un texte rédigé en une seule phrase (un peu longue), dont la fin contredit le début. Ici, je rappellerai ce que j’ai écrit en mai 2011 :
« Le dernier membre de phrase (« pour autant que cet usage ne soit pas tel qu’il donne l’impression qu’il existe un lien commercial entre le tiers et le titulaire de la marque ») est en parfaite contradiction avec la début de l’article L. 713-7. Si on en a une lecture rigoureuse, cela vide de son sens la limitation des droits de marques sur l’aspect des spécialités de référence.«
Un mois plus tard, un amendement adopté au Sénat avait supprimé le membre de phrase en question. - Un texte qui ne vise que les marques, alors que d’autres types de droits de PI sont susceptibles de conférer un monopole sur l’apparence d’un produit. Il suffit de constater que l’exposé sommaire qui accompagne le texte de l’amendement mentionne les dessins (et modèles). On pourrait ajouter le droit d’auteur et probablement certains types de brevets.
- Le risque de voir à nouveau le Conseil Constitutionnel considérer ces dispositions comme un cavalier législatif. Des dispositions limitant de façon identique des droits de propriété industrielle ont été rejetées car elles ne présentaient pas « un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis« . Les textes en question étaient une « loi de finance de la Sécurité Sociale« , puis une loi « portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires« . Dans le cas présent le projet de loi est relatif au « renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé« . Même si la pratique du Conseil Constitutionnel semble admettre une part de subjectivité, il faut souligner que le risque de voir cet amendement censuré comme étant un cavalier est bien plus faible que dans les deux cas précédents.
Les défauts pointés au numéros 2 et 3 peuvent être corrigés lors des séances de travail sur ce texte. Par contre si le Conseil Constitutionnel laisse cette fois-ci passer le texte, demeure l’incohérence visée au point 1.
Le texte est toujours en discussion. La version que la Commission des Affaires Sociales a présentée au Sénat le 19/10/2011 contient une formulation différente (http://www.senat.fr/leg/pjl11-045.html) :
Article 31
Après l'article L. 5121-10-2 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 5121-10-3 ainsi rédigé :
« Art. L. 5121-10-3. – Le titulaire d'un droit de propriété intellectuelle protégeant l'apparence et la texture des formes pharmaceutiques orales d'une spécialité de référence au sens de l'article L. 5121-1 ne peut interdire que les formes pharmaceutiques orales d'une spécialité générique susceptible d'être substituée à cette spécialité en application de l'article L. 5125-23 présentent une apparence et une texture identiques ou similaires. »
Le 13/12/2011, le Sénat a rejeté le projet de loi : http://www.senat.fr/petite-loi-ameli/2011-2012/13…
Dans le texte adopté définitivement par l'Assemblée le 19/12/2011, le contenu de l'article 31 ne change pas mais il porte à présent le numéro 42 : http://www.assemblee-nationale.fr/13/ta/ta0805.as…