Une décision récente, mise en lumière par le mensuel Alicante News de l’EUIPO, traite d’une particularité des dessins ou modèles communautaires : leur capacité à être maintenus après une modification.
Le principe est comparable, dans une certaine mesure, à la possibilité qu’a le titulaire d’un brevet français d’en limiter la portée en modifiant une ou plusieurs revendication(s), notamment dans le cadre d’une action en nullité à son encontre (ce que prévoient les articles L613-24 et L613-25 du Code de la Propriété Intellectuelle). Toujours en matière de brevets, mais au niveau de l’OEB, un mécanisme encore plus proche de celui qui existe pour les dessins ou modèles communautaires réside dans le maintien sous une forme modifiée des brevets européens, tel que prévu à l’article 82 du Règlement d’exécution de la convention sur la délivrance de brevets européens. Pour aller plus loin, la limitation et la révocation de brevets sont des sujets traités en détail par SedLex.
I) Le principe posé par l’article 25-6
En matière de dessins ou modèles, la possibilité de maintien sous une forme modifiée peut, de la même façon, être envisagée comme un moyen pour tenter de ne pas succomber (totalement) à une action en nullité, quand l’un des motifs suivants est invoqué :
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- défaut de nouveauté
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- défaut de caractère individuel
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- défaut de visibilité de pièce d’un produit complexe
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- aspect exclusivement dicté par la fonction
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- atteinte à une marque ou à des droits d’auteur antérieurs
- atteinte à l’ordre public et aux bonnes mœurs
Cependant, le maintien sous une forme modifiée, malgré son intérêt stratégique apparent, est une procédure qui a rarement été mise en œuvre jusqu’à présent. Une telle absence de succès est principalement liée aux conditions rigoureuses posées par les différents textes qui encadrent cette procédure.
Le Règlement n° 6/2002 prévoit le maintien sous une forme modifiée à l’article 25-6 (voir également l’article 51-3), rédigé comme suit :
La conditions essentielle posée par cet article concerne l’exigence de conservation de l’identité du dessin ou modèle. Il y a là une vraie difficulté à concilier la modification de forme du dessin ou modèle avec l’exigence de maintien de son identité. Si l’on veut maintenir l’identité de ce que l’on modifie, la modification sera forcément limitée.
Par ailleurs, la séquence chronologique de la procédure présentée par l’article 25-6 est un peu floue. Si cet article envisage la possibilité du maintien sous une forme modifiée qu’après une annulation (ce qu’exprime la passé composé de sa première phrase : le modèle « a été annulé« ), en pratique le titulaire ne doit pas attendre que son dessin ou modèle soit annulé.
Sur ces deux aspects d’autres normes que le Règlement apportent des précisions.
II) D’utiles précisions sur la portée et la mise en œuvre de l’article 25-6
Les autres textes qui évoquent le maintien sous forme modifiée sont le Règlement d’application et surtout les directives propres à l’Office.
a) Modalités de présentation de la requête en maintien sous une forme modifiée
Le Règlement d’application Nº2245/2002 comporte une disposition relative au maintien sous une forme modifiée : l’article 18, qui précise simplement que le maintien fait l’objet d’une inscription publiée au Bulletin des dessins ou modèles communautaires et que ce maintien « peut inclure une renonciation partielle, de 100 mots au maximum, par le titulaire ou une inscription au registre d’une décision judiciaire ou d’une décision de l’Office prononçant la nullité partielle du droit sur le dessin ou modèle » .
Les directives de l’Office (Examen des demandes en nullité des dessins ou modèles, version du 23/3/2016, paragraphe 5.9) indiquent aussi que :
La décision de la Division d’Annulation rapportée au III traite précisément d’un cas où des caractéristiques ont été retirées par l’utilisation de pointillés.
Le paragraphe 4.1.3 des directives de l’Office précise le moment où la requête de maintien sous une forme modifiée doit être présentée :
La requête aux fins de maintien du dessin ou modèle communautaire contesté sous une forme modifiée doit être soumise au cours de la procédure en nullité et avant la fin de la phase écrite.
Autrement dit :
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- la demande de maintien sous une forme modifiée est une (partie de) procédure inter partes, qui doit respecter le principe du contradictoire ;
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- le titulaire du dessin ou modèle doit présenter sa requête de maintien sous une forme modifiée alors qu’il anticipe le risque que l’action en nullité subie lui soit défavorable ;
- cette procédure de maintien sous une forme modifiée intervient dans le cadre d’une action en nullité : elle ne semble donc pas accessible au titulaire d’un dessin ou modèle qui aurait simplement reçu une lettre de mise en demeure ou qui, dans le cadre d’une action en contrefaçon du dessin ou modèle, subirait une demande reconventionnelle en nullité.
b) Conservation de l’identité du dessin ou modèle
Sur l’exigence de conservation de l’identité du dessin ou modèle, les directives de l’Office (5.9) apportent des précisions cruciales :
L’identité du dessin ou modèle communautaire doit être conservée. Le maintien sous une forme modifiée est dès lors limité aux cas où des caractéristiques retirées ou non revendiquées ne contribuent pas à la nouveauté ou au caractère individuel d’un dessin ou modèle communautaire, notamment:
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- lorsque le dessin ou modèle communautaire est incorporé dans un produit qui constitue une pièce d’un produit complexe et lorsque les caractéristiques retirées ou non revendiquées sont invisibles lors de l’utilisation normale de ce produit complexe (article 4, paragraphe 2, du RDC); ou
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- lorsque les caractéristiques retirées ou non revendiquées sont imposées par une fonction technique ou à des fins d’interconnexion (article 8, paragraphes 1 et 2, du RDC); ou
- lorsque les caractéristiques retirées ou non revendiquées sont si insignifiantes, eu égard à leur taille ou importance, qu’elles sont susceptibles de passer inaperçues aux yeux de l’utilisateur averti.
L’exemple qui suit présente un intérêt particulier sur cet aspect.
III) L’affaire du modèle d’antenne
La cas récent qui fait jouer les dispositions de l’article 24-6 concernait un modèle d’antennes, dont les vues apparaissent ci-dessous.
Ce modèle a été enregistré le 17 avril 2008. Le 14 janvier 2013, une action en nullité est engagée à son encontre.
Le demandeur à cette action soutient que l’aspect du modèle en jeu est exclusivement dicté par sa fonction (article 8.1 du Règlement) et fait état d’une antériorité constituée par un modèle d’utilité polonais, reproduit ci-dessous.
Dans sa réponse, le titulaire du modèle contesté produit une demande de brevet publiée en 1986, comportant les illustrations ci-dessous. La raison pour laquelle cette pièce est versée n’est pas des plus limpides. On a l’impression que cela vise à contester la validité du modèle d’utilité, ce qui est inutile car c’est sa publication qui importe.
Le deuxième moyen de défense utilisé est celui qui focalise notre intérêt : une demande de maintien sous une forme modifiée était présentée le 21 juin 2013, avec les vues ci-dessous où la partie supérieure, constituées de dipôles, a été passée en pointillées :
a) Premier temps : décision de la Division d’Annulation du 7 février 2014
Cette première décision ne contient aucune référence à la requête de maintien sous une forme modifiée.
La Division d’Annulation considère que le modèle en jeu est dépourvu de caractère individuel et prononce de ce fait la nullité du modèle, sans avoir besoin de se pencher sur l’argument tiré de l’article 8.1. Selon cette décision, les modèles en jeu ne dégagent pas une impression d’ensemble différente :
The numbers and the arrangements of the square elements are identical in the RCD and the prior design. Each design has four elements and the elements are arranged in the form of a cube. Likewise, in both designs the arrangements are supported by a central pole which is basically round in shape. In comparison to these strong similarities, the differences as regards the tops of the poles are of minor importance. Therefore, the RCD and the prior design produce the same overall impressions on an informed user.
b) Deuxième temps : décision de la 3è chambre de recours du 8 janvier 2016
La Troisième Chambre de Recours de l’EUIPO annule la décision précitée de la Division d’Annulation, car celle-ci n’avait tout simplement pas examiné la requête de maintien sous une forme modifiée. L’affaire est donc renvoyée à la division d’Annulation.
c) Troisième temps : retour du dossier devant la Division d’Annulation et décision du 28 juin 2016
Le nœud du débat à ce stade de la procédure concerne la validité de la requête de maintien sous une forme modifiée.
La demandeur à la nullité prétend qu’entre l’enregistrement n°00918677-0001 et la requête de maintien sous forme modifiée, les différences tenant à la mise en pointillés des dipôles en partie supérieure de l’antenne sont telles que l’identité du modèle n’est pas conservée.
La Division d’Annulation lui donne raison, en articulant la motivation de sa décision en deux temps :
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- les directives de l’Office prévoient que l’identité du modèle est conservée si les modifications concernent des détails insignifiants ou si leur aspect est exclusivement dicté par la fonction (cf ci-dessus au II b)). Comme il est considéré que la modification ne porte pas sur un détail insignifiant, il convient d’examiner si l’aspect de la partie du produit figurant en pointillés (dipôles) est exclusivement dictée par sa fonction.
- pour déterminer si l’aspect des dipôles du modèle en jeu est exclusivement dicté par leur fonction, le brevet versé aux débats est d’un intérêt particulier. La description du brevet ne mentionne pas que les dipôles doivent être de forme carrée (comme dans le modèle en jeu) ; la description mentionne seulement que des paires de dipôles doivent se faire face par paires et être équidistantes d’un axe central. Pour le mode de réalisation préféré évoqué dans ce brevet, il est précisé que l’invention fournit un assemblage aérien « d’apparence élégante« .
La conclusion est que le dipôle n’a pas nécessairement à être dans la configuration particulière en question (forme carrée, avec des angles aplatis). Sa forme n’est donc pas dictée par sa fonction (la façon dont on arrive à cette conclusion pourrait faire l’objet de longues discussions à propos du critère de multiplicité des formes vs le critère subjectif prôné dans la décision ‘Chaff cutters’, qui s’éloignent du cadre de ce billet).
Il s’en suit que l’identité du modèle n’est pas conservée dans la requête en maintien sous une forme modifiée. Cette requête est donc rejetée.
Reste l’impact de l’antériorité constituée par le modèle d’utilité : sur cet aspect, en l’absence de tout argument nouveau, la teneur de la première décision de la Division d’Annulation est maintenue.
Références :
EUIPO, Division d’Annulation, 07/02/2014, ICD 9019
EUIPO, 3ème ch. de recours, 8/01/2016, R 904/2014-3
EUIPO, Division d’Annulation, 26/06/2016, ICD 9019
Toujours à propos du maintien sous une forme modifiée, une décision plus ancienne mérite d’être citée. Toutefois, il ne faut pas tirer de conclusion hâtive du contraste provoqué par ce rapprochement.
IV) L’affaire des protections intimes
Parmi les rares fois où l’article 25-6 a été invoqué, un cas plus ancien concerne l’hypothèse inverse : le titulaire du modèle attaqué en sollicitait le maintien sous une forme modifiée consistant en le fait de passer en traits pleins les traits qui figuraient en pointillés dans son enregistrement initial.
Dans une décision de la Division d’Annulation rendue le 29 mars 2010, il était question de la validité d’un modèle de partie de serviette périodique, dont une partie seulement était représentée en traits pleins.
La divulgation antérieure de modèles américains était invoquée à son encontre. L’art antérieur consistait en ces deux vues :
Pour résister à cette action, le titulaire du modèle en jeu a proposé de présenter une requête en maintien sous un forme modifiée qui consisterait soit à préciser dans un « disclaimer » que « la silhouette représentée en ligne continue est la silhouette d’une aile de serviette hygiénique« , soit à remplacer les traits pointillés par des traits continus.
La première branche de l’alternative n’a pas convaincu la Division d’Annulation : la pertinence de l’antériorité n’est pas affectée par ce type de description.
La seconde branche a été considérée comme un changement d’identité du modèle. De ce fait la requête en maintien sous une forme modifiée a été rejetée.
La 3è Chambre de recours a confirmé cette solution, ajoutant qu’en tout état de cause la défense présentée de façon conditionnelle n’était pas acceptable.