L’identité alsacienne peut-elle se réduire à quelques clichés ? En tout état de cause, ces marques du XIXème et du XXème siècle font largement usage d’éléments emblématiques de cette région historique : bretzels (dont la forme n’est pas appropriable, quand bien même elle serait réalisée via un chapelet de saucisses), cigognes, coiffes à grand nœud (lesquelles ne semblent pas avoir de nom générique alors qu’il en existe une multitude de variantes : Backehüb, Bändelkapp, Bördela, Bridelskapp, Floka, Sankt-Annakapp, Säumawekapp, Schleufkapp, Schlöefkapp, Schlupkapp, …), ainsi que l’unique flèche de la cathédrale de Strasbourg.
Cette région a beaucoup à offrir. On y trouve des pôles d’excellence tel que le CEIPI, des Institutions Européennes, une culture, un dialecte et, ce qu’une majorité de ces marques représente : un patrimoine gastronomique réjouissant.
Comme l’a signalé l’érudit Benjamin Fontaine, la pratique actuelle de l’INPI (qui suit le principe de l’arrêt de la CJUE du 2 mai 2019 (aff C-614/17, Queso Manchego) a certainement amené le déposant de la marque figurative ci-dessus constituée du portrait d’une alsacienne à circonscrire divers produits revendiqués à des indications respectant les IGP alsaciennes. C’est dire le pouvoir d’une telle image.
Et dans nos archives, bien d’autres marques évoquant l’Alsace sont présentes. Pour garder une présentation déjà éprouvée, ces anciennes marques, identifiées en feuilletant de très vieux bulletins, sont affichées ci-dessous sous forme de galerie, et suivies, dans le même ordre (ou presque), d’un aperçu des sillons qu’elles ont pu tracer dans la mémoire collective.
La société Pâtes Alimentaires Kuentz, à Guebwiller, qui a procédé en 1967 au dépôt d’un portrait de jeune alsacienne à coiffe, a été créée en 1922. On peut lire, à propos de cette entreprise familiale, que son fondateur « Frédéric Kuentz choisit comme marque de fabrique une belle alsacienne et la dénomination « Les pâtes du Florival » du nom de la vallée, avant de faire évoluer la marque en « Valfleuri » dès 1929. » C’est sous ce nom que cette société, membre de l’IGP « Pâtes d’Alsace » et deuxième fabricant français de pâtes (en 2014), reste connue aujourd’hui, même si ses produits sont souvent distribués sous des MDD. Le graphisme du personnage a changé : dans les années 1990, c’est l’alsacienne du tableau « Les Nouilles » d’Alfred Pabst qui devient l’ambassadrice de Florival.
Le Groupement Corporatif des Brasseurs d’Alsace, titulaire de la marque semi-figurative « Bière d’Alsace » siégeait en 1954 à proximité immédiate de la place Kléber à Strasbourg, là où se trouvait le Schützenberger (ex Palais de la Bière), un bar-restaurant (fermé en 2006) appartenant à la brasserie du même nom.
La marque Laine Vosgia a été déposée par une société colmarienne F & H Heimendinger, comme on peut le voir sur le renouvellement de 1947 ci-dessus. Cette société ne semble pas avoir laissé de trace qui soit encore facilement visible.
La marque constituée par l’étiquette de potage Alsace Lorraine ornée d’une alsacienne a été déposée en 1937 par les Établissements Auguste Bloch & Fils. Cette entreprise, qui existe encore aujourd’hui sous le nom de BLOCH Auguste, a été crée par Monsieur Nephtalie BLOCH en 1811. Après avoir démarré comme féculerie, cette société, connue sous le nom de BLOCH POTALUX, a proposé des aides culinaires, des potages déshydratés et des courts bouillons . En 2000, la société Fernand HIGY reprends le fonds et recentre l’activité sur les aides culinaires au sein de BLOCH SOCIÉTÉ NOUVELLE, qui reprendra le nom d’Auguste BLOCH en 2019.
Un autre portrait d’alsacienne, ornée d’une coiffe, est une marque renouvelée en 1944 au nom de la Cartoucherie Française. Cette société, fondée en 1903 à Survilliers, dans le Val d’Oise (ville dont elle a assuré le développement), a eu une activité liée à l’armement. Après divers remous dans la seconde moitié du XXè siècle, renommée NCS Pyrotechnie et Technologies (NCS pour Nouvelle cartoucherie de Survilliers) et intégrée à Autoliv, elle réoriente son activité vers la production d’allumeurs pour airbags.
Ensuite, c’est la marque déposée en 1947 par une société bordelaise dénommée Charcuterie d’Alsace qui représente un personnage d’alsacienne. Les quelques 950 kilomètres séparant la localisation du déposant et l’Alsace donnent une idée de l’attractivité des produits concernés.
Georges Gatrio, sis à Obernai et spécialiste de la choucroute de Strasbourg a déposé sa marque en 1962. Son ancêtre Eugène Gatrio fabricant de choucroute à Obernai, aurait déposé « Eugène Gatrio » le 1er avril 1924 (ce que rapporte Thierry Meurant sur Blamont.info). Eugène était le neveu d’A. Kormann, pionner de la fabrication de choucroute, qui lança son activité en 1875.
Dans la rue de l’Outre, à Strasbourg, la charcuterie Hurst & Miss, qui a déposé une marque figurative au personnage d’alsacienne servant un abondant plateau de victuailles, a côtoyé rien de moins que le Crocodile et Chez Christian.
Les deux marques constituée pour l’une d’ « Avion d’Alsace » et pour l’autre d’un graphisme d’alsacienne avec une chemise siglée du monogramme LC ont été déposées par Léon Cerf. Ce sont bien ses initiales qui constituent le monogramme LC. Il exploitait dès 1923 un commerce de fabrique de chemises pour hommes portant son nom et situé au 27 rue du Vieux Marché (aux Vins), à Strasbourg.
La marque semi-figurative « Flan Alsa vanilliné« , déposée en 1937 par les Etablissements Moesch & Fils à Nancy, correspond à un produit qui existe encore pratiquement 85 ans plus tard. L’entreprise aux célèbres sachets roses Alsa a des origines remontant à 1896. Sur son site, il est expliqué qu’en cette année, « Emile Moench, jeune français, apprenti chez un boulanger à Vienne, découvre que son patron utilise de la levure chimique au lieu de la levure boulangère pour faire gonfler ses brioches. » L’apposition d’un graphisme d’alsacienne sur les sachet est une idée de sa femme, Élisabeth, et ce fut le curé du village d’Igney-Avricourt en Meurthe-et-Moselle, où le couple s’était installé, qui assura la commercialisation des premiers produits.
« Les bretzels Pido sont les meilleurs » affirme une marque déposée en 1937 par Pierre Doerflinger, domicilié à Durstel. Son petit neveu indique sur les réseaux sociaux que le déposant, qui était boulanger, fut l’un des premiers à commercialiser de grands bretzels emballés dans de la cellophane. Le logo présente un immense bretzel, tenu de part et d’autre par deux alsaciennes en costume traditionnel.
A Colmar, son concurrent Martin Musslin avait protégé Alsabretzels, marque semi-figurative renouvelée en 1947. L’établissement de ce boulanger était signalé par une remarquable enseigne réalisée par le ferronnier L. Eisenmann, à partir d’un dessin de Hansi. Cette enseigne surplombe toujours le 25 de la rue des Têtes à Colmar, situé face au musée Hansi. Le logo présente un immense bretzel, qui, comme celui précité du sieur Doerflinger, est tenu de part et d’autre par deux alsaciennes en costume traditionnel. Lequel a précédé l’autre ? La publication de la marque de M. Musslin correspond à un renouvellement, sans que l’on ait d’indication sur la date exacte de son dépôt initial. On ne pourra donc pas trancher à la vue de ces seuls éléments.
Un concurrent des sucres vanillinés Alsa était celui connu comme Le Strasbourgeois, marque déposée en février 1937 par La Strasbourgeoise, Fabrique de Produits Alimentaires.
En 1947, à Mulhouse, la marque Alsgros a été déposée pour le compte de la Maison Alsacienne d’Alimentation en Gros. Sur le nom de la marque s’assoit une jeune alsacienne portant un kougelhopf. Cela reste la seule trace identifiés à ce jour de l’activité de cette société.
Le logo des Potasses d’Alsace de la Société Commerciale des Potasses d’Alsace est le témoin d’un pan minier d’histoire alsacienne non négligeable. A Wittelsheim, un musée se fait le témoin d’une épopée qui démarra en 1904 par un forage en ce lieu. La mémoire de l’activité est également conservée au travers du Carreau Rodolphe (le « carreau » étant un puits). Le logo lui-même, avec sa cigogne en appui monopodal au premier plan et la cathédrale de Strasbourg à l’arrière plan, est l’œuvre de nul autre qu’Hansi.
Les Papeteries de la Robertsau ont renouvelé en 1938 une marque comprenant le dessin d’une cigogne ayant fait son nid au sommet d’une cheminée. Dans la base Mérimée du patrimoine architectural, on peut trouver une notice qui y fait référence. L’usine à papier en ce lieu est initialement connue sous le nom de Nouvelle Manufacture de Papier (fondée en 1872), avant d’adopter la dénomination employée lors de ce renouvellement de marque, puis devient ensuite Iridium. Il est précisé que vers « 1919, l’entreprise devient la « Papeterie de la Robertsau » et inaugure une nouvelle production papetière alors inédite en France : l’ouate de cellulose. Elle en produit 4500 tonnes en 1925 et poursuit son essor jusqu’au début des années Trente, avec une production journalière de 24 tonnes. » Elle est rattachée en 1985 à la société Iridium, « propriété du groupe Aussedat-Rey, lui -même sous contrôle d’International Paper (USA)« .
De la marque MECOLU déposée en 1945 par M. Jean Lutz et associant une machine à travailler le bois avec la cathédrale strasbourgeoise et la tour Eiffel, il ne reste que peu de traces. Seul un site de petites annonces comporte la mention d’une presse à plaquer manuelle de marque MECOLU dont la photographie donne une idée de la robustesse.
Le Gourmet d’Alsace qui orne de son portrait la marque du colmarien Charles Jux visait à identifier des boissons alcooliques ou non et des préparations pour faire des boissons. Son dépôt de 1966 revendique des « droits antérieurs », sans plus de précision. Dans le domaine viticole, la Nouvelle Société Charles Jux a été active de 1901 à 1985 et présentait ses vins -tel ce pinot gris– sous le nom « Charles Jux Jacobert ». En 1947, Hansi a signé des étiquettes pour ce négociant.
En 1937, Adolphe Ancel déposait une marque semi-figurative LEVURE d’ALSACE représentant un enfant pataugeant dans un moule à kougelhopf. En 1919, Dr. Oetker, la société fondée par Rudolf-August Oetker, indique avoir « ouvert une filiale en France sous le nom de ancel. Ancel fabrique alors des levures & sucres et des desserts à préparer« . La marque Ancel avait été gommée des emballage en 2007, alors que la filiale ancel devenait Dr. Oetker France. Mais la marque Ancel a fait son retour en 2011 (source : site Dr Oetker). Le site de l’Inventaire du Patrimoine en Alsace indique plus précisément les débuts de la société de M. Ancel : « La Fabrique Alsacienne de Produits Alimentaires avait été créée en 1919 par Adolphe Ancel, jusqu’ici diffuseur des produits alimentaires de la firme allemande Oetker en France. Après avoir acheté les droits de fabrication, en 1919, il les commercialisa sous son propre nom (marque Ancel). (…) A. Ancel quitta le boulevard du Président Wilson, en 1931, pour installer sa nouvelle usine dans la zone industrielle de la Meinau (28 rue Lafayette). »
La marque représentant les toits strasbourgeois (dont la cathédrale, vue depuis le quai des Pêcheurs dans le charmant quartier de la Krutenau) avec une cigogne nichant sur une cheminée, accompagnée des expressions « Fil Strasbourgeois, Fil de Lin Supérieur » a été déposée en 1888 par les frères Hassebroucq. Ceux-ci sont sis à Comines, non loin de Lille. Le Musée THIRIEZ-CARTIER-BRESSON (TCB), mentionne la filature Hassebroucq, crée en 1829 par Constantin Joseph Hassebroucq et spécialisée dans le lin et le chanvre à coudre. Elle déposera pas moins de 370 marques entre 1845 et 1895, puis deviendra les « Filatures et Filteries de France » (les « 3 F »), disparues en 1977.
La société des Laminoirs de Strasbourg a déposé en 1967 une marque en forme de poinçon au sein duquel figure une façade stylisée de la cathédrale de Strasbourg. Ce dépôt est intervenu un an après la création de la société, exerça son activité sidérurgique jusqu’en 1988. Le site a été, depuis, occupé par la société NLMK La Louvière.
Le logo en spirale du centre commercial de La Place des Halles a été déposé en 1977 par la SDPH. Cet ensemble immobilier situé à l’emplacement de l’ancienne gare de Strasbourg, a été inauguré en 1979. Il abrite le tout premier restaurant McDonald’s ouvert en France et a hébergé les bureaux du cabinet Meyer & Partenaires. Avec l’évolution de l’identité visuelle de cette enseigne du centre commercial, les éléments nominaux ont pris une place plus importante.
Des conserves alimentaires de toutes sortes sont revendiquées par la marque Le Champignon d’Alsace, déposée en 1948 par M. Albert Brun. On y voit un nain offrir un énorme champignon coiffé d’une couronne impériale à un cuisinier dont l’admiration se manifeste par un placement particulier des index, l’un pointant le champignon et l’autre son propre front.
En 1888, la dame veuve Vanherck a déposé une marque pour désigner une liqueur. Cette marque est essentiellement caractérisée par une étiquette sur laquelle figure la dénomination « EL-SASS » et ce qui apparait comme des drapeaux noués entre eux par un grand ruban noir. Cette « liqueur des dames de France » exprime ses qualités en ces vers :
Je donne la Santé, la Force et le Courage
De la chaleur au corps et du rose au visage
Et de la joie au cœur.
Faites moi bon accueil, nobles Dames de France
J’apporte de l’exil du rêve d’espérance
Dans le parfum de ma Liqueur
Sainte Odile, protectrice de l’Alsace apparait dans la marque circulaire déposée en 1937 par la société Moïse Haas Fils, sise à Mulhouse. Celle qui a son Mont et sa fête le 14 décembre protège non seulement l’Alsace mais également les malvoyants, aveugles et oculistes. Canonisé au XIè siècle, Odile de Hohenbourg est née vers 662 à Obernai, morte vers 720. Fille du duc Etichon-Adalric d’Alsace et de son épouse Berswinde, elle fonda le monastère de Hohenbourg, à l’emplacement du mont qui porte son nom. Née aveugle, elle retrouve la vue lors de son baptême par l’évêque Erhard d’Ardagh.
« Alsanet rend tout net » nous dit M. Marcel Legendre, en déposant cette expression sous dorme de marque semi-figurative pour désigner des savons d’industrie et de ménage, des substances pour lessiver, nettoyer et détacher. Ce qu’il advint des produits ainsi identifiés reste mystérieux.
Des tonnelets renfermant de la choucroute constituaient les produits sur lesquels s’étendait le monopole conféré par une marques comportant l’inscription descriptive mais circulaire « Choucroute de Strasbourg » entourant une ancre de marine. Contrairement au pédalier, cet instrument étant peu associé à la choucroute, sa représentation devait certainement être très arbitraire et donc hautement distinctive au regard des produits considérés. Le sieur Louis-Adolphe Dié, charcutier à Epernay, a déposé cette marque le 12 décembre 1888.
Enfin, deux marques déposées par Alphonse Folzer désignaient des colles fortes. L’une était nommée La Cigogne et l’autre, tout simplement, Colle Forte d’Alsace. La seconde témoigne du fait que ce déposant mulhousien ne craignait pas de faire main basse sur un signe descriptif.
D’autres marques en lien avec l’Alsace figurent dans les archives du petit musée des Marques : le Marché de Noël et celle de l’inénarrable Kansass of Elsass.