Un jugement du TGI de Paris récemment publié au PIBD alimente un courant qu’on pourrait appeler la « jurisprudence des têtes« , voire « jurisprudence guillotine« .
Ce courant n’est pas étranger à une certaine méfiance des tribunaux lorsque se profile la possibilité d’un cumul de protection ou au moins d’un chevauchement entre droits d’auteur et marque.
Sur le principe ce cumul n’a rien d’anormal : le fait qu’un signe soit protégeable par le droit d’auteur n’exclut pas la possibilité d’une protection de celui-ci par le droit des marques (les logotypes, qui sont l’une des formes les plus usitées de marques, sont protégés par le droit d’auteur, dès lors qu’ils sont originaux).
Un autre type de création soutient moins facilement le cumul : les titres ont pour fonction d’identifier les œuvres. Ils peuvent sous certaines conditions être protégés par le droit d’auteur et sont parfois également déposés comme marques. Mais, selon une opinion de plus en plus répandue dans les prétoires, l’usage d’un titre ne porte pas nécessairement atteinte à une marque identique enregistrée pour les mêmes produits (cf. par ex. le récent arrêt du TPI concernant Dr NO, ou l’arrêt Tout Peut Arriver, rendu par la CA de Paris le 25 janvier 2006) et ce, même si le titre est utilisé pour identifier une œuvre mise dans le commerce…
En l’espèce, le tribunal ne s’arrête pas à la questions de l’exercice des droits, mais va encore plus loin.
Dans la présente affaire qui concernait la commercialisation d’une poupée ressemblant à la célèbre Barbie, Mattel invoquait l’atteinte à ses droits d’auteur mais également à sa marque communautaire portant sur la photo de la tête de Barbie (illustration ci-dessus). Mattel soulevait également le grief de concurrence déloyale, en raison de l’imitation de son emballage.
Alors que les décisions évoquées ci-dessus et relatives à des titres identiques à des marques examinaient la possibilité d’exercer le droit de marque à l’encontre d’un usage du même signe en tant que titre, ici le tribunal se positionne en amont d’une telle question. L’intérêt du jugement du 30 avril 2009 réside dans l’appréciation de la validité de la marque invoquée.
En premier lieu, Mattel fait état de ses droits d’auteur sur la tête de la poupée « Barbie Ceo », enregistré le 1er avril 1999 au Copyright Office aux États-Unis. Cette protection ne pose pas de problème :
Cette tête (…) se caractérise par un front plat, un visage aussi large dans sa partie supérieure que dans sa partie inférieure, des yeux légèrement en amande, un nez fin, des lèvres entrouvertes par un sourire, des joues pleines et un menton peu marqué.
L’ensemble de ces caractères confère au visage son originalité. La société Edl associés ne verse aux débats aucune autre tête de poupée comprenant cette combinaison d’éléments et elle ne démontre pas qu’ils constitueraient des caractéristiques communes et obligées des poupées mannequins.
Ainsi, la société Mattel Inc. peut-elle légitimement se prévaloir d’un droit privatif sur la tête de poupée telle que reproduite sur le certificat d’enregistrement [délivré par le Copyright Office] du 1er avril 1999.
La poupées litigieuse qui reprend l’essentiel de ces éléments est déclarée contrefaisante.
En second lieu est invoquée la marque, enregistrée en classes 16, 18, 21, 25 et 28.
La défendresse soutenait que ce signe, constitué par la photographie de la tête de la poupée, « ne présente pas de caractère distinctif pour identifier l’origine d’une poupée dans la mesure où le visage en est un élément constitutif qui ne peut assurer de fonction d’identification du produit à une entreprise« .
Le tribunal suit cette argumentation en énonçant qu’il
y a lieu de rechercher si le consommateur appréhende le signe figuratif comme une garantie d’origine lui permettant de distinguer le produit de ceux de la concurrence et non pas seulement comme l’apparence du produit et l’image lui venant spontanément à l’esprit pour évoquer une poupée mannequin.
En l’espèce, la société Mattel Inc. ne met en évidence aucun élément susceptible d’être perçu par le consommateur non pas dans sa fonction décorative et esthétique mais dans sa fonction distinctive. Elle n’invoque pas non plus l’acquisition de ce caractère distinctif à raison de l’usage qui en a été fait.
En conséquence, le caractère distinctif du visage de poupée pour identifier l’origine d’une poupée n’apparaît pas établi et la marque communautaire doit être déclarée nulle en ce qu’elle se rapporterait à des poupées.
(gras ajouté)
Ainsi, la marque qui consiste en la représentation d’une partie du produit est dépourvue de caractère distinctif aux yeux des juges car (son titulaire n’a pas démontré qu’il était incorrect d’affirmer qu’) un tel signe ne pourrait remplir la fonction de garantie d’origine.
Est donc introduite une présomption d’absence de caractère distinctif pour des marques constituées de la photographie d’une partie d’un produit.
Encore une fois, on voit que les termes généraux et flous de l’article 7.1.b du Règlement sur la Marque Communautaire permettent de refuser(sans trop se justifier) la protection de marques qui remplissent pourtant les critères plus objectifs de validité prévus par les autres paragraphes de l’article 7.1.. Ici le tribunal le fait en évoquant la fonction de garantie d’origine (cf. considérant 8 du Règlement sur la Marque Communautaire) et la « fonction distinctive« , que le signe en question est prétendu ne pas assurer.
Alors que la capacité de la partie à identifier et signifier le tout méritait de plus amples développements, on reste sur sa faim.
La situation est probablement moins simple que ce que semble considérer le tribunal. Sans aller jusqu’à invoquer des notions de rhétorique (ce que malheureusement les Offices et tribunaux ne font pratiquement jamais, alors que les signes et leur perception sont au cœur du droit des marques), on peut reconnaitre en l’espèce l’équivalent visuel d’une synecdoque dans cette photographie d’une partie d’un objet, censée identifier l’objet dans sa totalité.
Par ailleurs, un visage est probablement la première partie du corps que le cerveau reconnait – dès le plus jeune age-, et qui permet d’identifier un individu. Or, de façon similaire, la marque a aussi pour fonction d’individualiser le produit qu’elle désigne par rapport aux produits concurrents (ce que le jugement évoque en opposant la « fonction distinctive » des marques à la fonction esthétique des œuvres, comme si l’une excluait nécessairement l’autre…).
Cette décision est évidemment à rapprocher de l’arrêt relatif au portrait de Che Guevara, qui était la première décision que nous avions évoquée dans ce courant de la jurisprudence des têtes (mais pas la première marque constituée d’un portrait à avoir retenu notre attention : il y a cinq ans déjà…).
- Référence : PIBD 902, III, page 322.