Pas moins d’une vingtaine de marques tournant autour du terme « déco » a été déposée le même jour par la société Communication Et Programme International (ci-après CEPI).
Cette dernière a pour activité la production de programmes de télévision dits « de flux », dont la particularité réside dans la mise en valeur (indirecte) de marques. Ainsi dans un communiqué de son actionnaire majoritaire, on lit que CEPI « a initié plus de 5 000 heures de programmes de flux pour plus de 300 marques : «Du côté de chez vous», TF1, Leroy Merlin / «La Météo», France 3, Mr Bricolage / «Question Maison», France 5, Leroy Merlin / «Plus jamais comme ça », France 2, Expert/ «Va y avoir du Sport», TF1, Intersport / «Mission Prix », France2, U / etc … ». Dans cette lignée, fin 2006 la société a lancé une chaine thématique autour de l’univers de la maison.
Toutefois c’est sur la stratégie de dépôt massif de marques par CEPI, qu’il me semble intéressant de s’arrêter. Car les publications de demandes d’enregistrement relevés ici ne correspondent pas à une action isolée mais semblent bien traduire une façon particulière d’envisager la gestion de la propriété industrielle : cette société, qui en 2005 réalisait un CA de 13 millions d’euros, a déposé plus de marques à l’INPI que L’Oréal (aussi bien en 2005 qu’en 2006 ; chiffres INPI 2006, cf. tableau page 8).
Bien que ce ne soit pas impossible, il est difficile d’imaginer que toutes ces marques déposées simultanément ont d’emblée vocation à être exploitées de façon autonome pour désigner des produits et des services distincts. Dès lors on peut penser que multiplier par vingt le cout d’un dépôt de marque ne se justifie pas.
Ou alors serait-ce pour …
- s’épargner des recherches d’antériorités.
Chaque situation de lancement de marque est particulière et peut justifier l’adoption d’une stratégie de vérification de la disponibilité juridique du signe envisagé selon des critères liés au marché considéré (situation concurrentielle), au signe envisagé, à la nature des produits/services, au degré d’urgence du projet, à l’étendue géographique du marché… Doser ces paramètres peut conduire à arbitrer entre cout et risque. On peut donc imaginer procéder à de nombreux dépôts sans faire de recherches et finalement n’exploiter que la marque qui aura réussi à passer entre les fourches caudines d’éventuelles oppositions. En réalité ceci conduit à une prise de risque maximum (que même un trader renierait) : toutes les antériorités ne se manifestent pas en phase d’opposition ; les découvrir ultérieurement aura des conséquences bien plus fâcheuses…
Cette première raison n’est donc assurément pas la bonne.
- occuper le terrain.
Les marques de barrage sont vues d’un mauvais œil par le législateur : inexploitée pendant cinq années, une marque peut être annulée, histoire de libérer le terrain. Mais qu’est-ce que cinq années quand on considère le cycle de vie d’un produit tel qu’une émission de télévision ? Et surtout, en phase d’élaboration d’une émission de télévision (présentation du concept, négociation des contrats), les choses étant plus délicates, on peut préférer une une protection plus large.
- balancer des leurres.
La surveillance des publications de marques est un outil d’intelligence économique utilisé d’autant plus fortement que le secteur considéré se révèle concurrentiel. Tel est indéniablement le cas de la production d’émissions de télévision. Le dépôt de leurres intervient aussi en ce qui concerne les demandes de brevets, dans des secteurs où il est stratégique de connaitre les orientations des travaux de R&D des concurrents.
- se laisser le temps d’affiner le choix de la marque.
Le dépôt simultané de vingt marques peut intervenir à l’issue d’un premier « brain-storming », avant que les filtrages n’interviennent.
Je penche donc pour un mélange des trois derniers motifs.
Voyez-vous d’autres raisons de procéder ainsi ?