Signalée par IPkat, une décision de la quatrième Chambre de Recours de l’OHMI [archivée ici] a récemment confirmé le refus de protection d’une marque sonore déposée par Edgar Rice Burroughs, Inc. portant sur le cri de Tarzan.
Difficulté propre aux marques non traditionnelles (telles les marques olfactives), le mode de représentation employé en l’espèce pour cette marque sonore n’est pas jugé apte à identifier le signe revendiqué.
L’examen de la validité du dépôt de marques sonores et plus précisément des modalités de leur représentation n’est pas une question inédite.
Antérieurement, le refus de protection du rugissement du lion de la MGM avait été prononcé par l’OHMI en raison de l’absence de précision de la représentation du son. Le sonogramme du rugissement fourni par le déposant n’était accompagné d’aucune échelle ni indication d’unités en abscisses et en ordonnées. Ici tel n’est pas le cas : les unités sont indiquées.
Dans son arrêt ‘Shield mark’ (27 Novembre 2003, aff. C-283/01), la CJCE a dit pour droit qu’un son pouvaient être enregistré comme marque « à condition qu’il puisse faire l’objet d’une représentation graphique, en particulier au moyen de figures, de lignes ou de caractères, qui soit claire, précise, complète par elle-même, facilement accessible, intelligible, durable et objective » (1). Convient à cet effet « une portée divisée en mesures et sur laquelle figurent, notamment, une clé, des notes de musique et des silences dont la forme indique la valeur relative et, le cas échéant, des altérations »
En l’espèce, le son n’était pas représenté par une partition musicale mais par ce fameux « sonogramme » dont le principe est indiqué dans la description de la marque qui accompagnait le dépôt :
‘The mark consists of the yell of the fictional character TARZAN, the yell consisting of five distinct phases, namely sustain, followed by ululation, followed by sustain, but at a higher frequency, followed by ululation, followed by sustain at the starting frequency, and being represented by the representations set out below, the upper representation being a plot, over the time of the yell, of the normalised envelope of the air pressure waveform and the lower representation being a normalised spectrogram of the yell consisting of a three-dimensional depiction of the frequency content (colours as shown) versus the frequency (vertical axis) over the time of the yell (horizontal axis).’
La représentation graphique du signe doit à elle seule permettre aux tiers d’appréhender de façon parfaitement exacte le signe retranscrit.
Or la visualisation d’un spectrogramme ne permet pas, selon la Chambre de Recours, d’identifier ne serait-ce que la nature du son représenté par un graphique de la répartition temporelle des différentes fréquences sonores : s’agit-il d’une voix humaine, d’un aboiement, d’un violon, d’une cloche (§20) voire (en poussant l’ironie) d’une moto ou de l’ouverture de Tristant & Iseult (§24) ?
La Chambre considère que même un spécialiste de haut niveau en matière de spectrogrammes ne pourrait, à partir de cette seule représentation et sans autres moyens techniques, reproduire le son en question (« considers it unlikely that anybody, even a superior specialist of spectrograms, could, on the basis of the spectrogram alone and without technical means, reproduce the sound », §21).
Le principe qui gouverne la décision se résume ainsi : peu importe que l’image représente sans ambigüité un son individualisé, s’il n’est pas possible de re-transformer cette image en son (« It is not enough if the image filed would unambiguously and individually represent a given sound, as long as it is not possible to retransform the image into a sound » §23).
Les arguments examinés après ce premier moyen restent relativement secondaires.
Dans la mesure où le déposant avait versé à l’appui de ses arguments un article (sur les spectrogrammes) tiré de l’encyclopédie Wikipedia, la Chambre de recours examine ensuite longuement à partir de ce document s’il existe des moyens informatiques pour procéder à l’opération d’ingénierie inverse, consistant à partir d’une représentation graphique sous forme de spectrogramme, à reproduire un son. La Chambre semble considérer l’article de Wikipédia comme une référence (2) et examine les divers logiciels qui y sont cités. Cette démarche n’a qu’un intérêt limité dans la logique de la Chambre de recours, puisqu’au paragraphe 21 il était explicitement exclu de recourir à des moyens techniques pour reconstituer le son représenté (le §23 est également sur ce point en opposition avec le § 21) ! De toutes façons, aucun des logiciels visés ne remplit la fonction attendue (§30).
Est enfin examiné l’argument du déposant selon lequel le cri de Tarzan (ainsi identifié dans la description) est bien connu de tous. A aucun moment il n’est affirmé que la description fournie peut être considérée comme une représentation graphique de la marque au sens de l’article 4 du Règlement sur la Marque Communautaire, mais l’attention avec laquelle la Chambre de recours analyse un élément tiré de la description laisse croire qu’il en est ainsi.
Soutenir que tout le monde connait le son revendiqué ne convainc pas la Chambre de recours, pour plusieurs raisons. En premier lieu, cette référence vise la mémoire des consommateurs moyens, ce qui serait pertinent si l’on examinait la distinctivité intrinsèque de la marque (§40 in fine et §42). De plus, Tarzan a été incarné par divers acteurs au cinéma et le déposant ne précise pas lequel d’entre eux serait à l’origine du son revendiqué ici (§41) (3).
Conclusion :
Le roi de la jungle peut toujours yodeler en sonogrammes : ceux-ci ne seront pas enregistrés à l’Office d’Alicante.
Référence : décision de la 4è Chambre de recours, 27 septembre 2007, aff. R 708/2006-4
Epilogue :
A l’inverse, aux Etats-Unis, l’USPTO a enregistré le cri de Tarzan comme marque. On trouve même dans la section du site de l’USPTO destinée aux enfants un fichier mp3 du cri de Tarzan. Mais si, contrairement à l’OHMI, l’USPTO n’exige pas nécessairement de représentation graphique pour les marques non traditionnelles, on constate également que sur l’enregistrement américain, une description relativement précise du cri de Tarzan est fournie :
« The mark consists of the sound of the famous Tarzan yell. The mark is a yell consisting of a series of approximately ten sounds, alternating between the chest and falsetto registers of the voice, as follow – 1) a semi-long sound in the chest register, 2) a short sound up an interval of one octave plus a fifth from the preceding sound, 3) a short sound down a Major 3rd from the preceding sound, 4) a short sound up a Major 3rd from the preceding sound, 5) a long sound down one octave plus a Major 3rd from the preceding sound, 6) a short sound up one octave from the preceding sound, 7) a short sound up a Major 3rd from the preceding sound, 8) a short sound down a Major 3rd from the preceding sound, 9) a short sound up a Major 3rd from the preceding sound, 10) a long sound down an octave plus a fifth from the preceding sound. »
(marque US serial n°75326989, enregistrée sous le n°2210506)
Vis-à-vis de l’OHMI, l’enregistrement comme marques communautaires de sons qui ne peuvent être représentés sur une portée musicale pose donc un problème majeur lié aux limites des modes de représentation graphique des sons, en l’état de la technique. C’est pour pallier à cette difficulté que les exigences de l’OHMI ont été assouplies : depuis la modification du Règlement d’application 2868/95 (par le règlement nº1041/2005 du 29 juin 2005), le dépôt de marques sonores effectué par voie électronique peut être accompagné d’un fichier mp3 (ayant une taille maximale d’un seul Mo) (4).
L’article 3.6 du Règlement d’exécution dispose ainsi que lorsque « l’enregistrement d’une marque sonore est demandé, la représentation de la marque se compose d’une représentation graphique du son, en particulier d’une notation musicale; lorsque la demande est déposée par des moyens électroniques, elle peut être accompagnée d’un dossier électronique contenant le son. (…) »
Ont ainsi été enregistrées les marques n° 4928371 et 4901658.
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1 Solution qui est celle dégagée par l’arrêt Sieckmann : CJCE, arrêt du 12 Décembre 2002 aff. C-273/00.
2 Ce qui à mon avis, et malgré l’intérêt indéniable de Wikipédia, ne doit garder qu’une valeur relative -scepticisme partagé par l’INTA (cf TTABlog)- en raison de la possibilité par tout un chacun de modifier sans délai, validation ni supervision les articles. Ceci conduit effectivement à toutes sortes de manipulations, comme l’illustre notamment la liste des abus dressé par Wired à partir de l’outil Wikiscanner ou encore les modifications propagandistes intervenues lors du débat télévisé Sarkozy / Royal.
3 La Chambre semble ignorer les rumeurs selon lesquelles les successeurs de Johnny Weissmuller se contentaient de faire du play-back sur un enregistrement de l’ancien champion de natation.