A plusieurs reprises nous avons évoqué les efforts du législateur français pour paralyser certains droits de propriété intellectuelle, afin de favoriser la diffusion des médicaments génériques.
Cette volonté était longtemps restée lettre morte, en raison du blocage par le Conseil Constitutionnel d’amendements jugés sans lien suffisant avec les textes dans lesquels ils étaient insérés.
La troisième tentative aboutit cette fois à une publication au Journal Officiel : l’amendement « zombie » (mort deux fois et ressuscité en amendement Robinet) est en effet devenu, après modifications, l’article 42 de la loi publiée le 30 décembre 2011.
La LOI n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé comporte donc un article qui affecte la portée de certains droits de propriété intellectuelle, rédigé ainsi :
Après l’article L. 5121-10-2 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 5121-10-3 ainsi rédigé :
« Art. L. 5121-10-3. – Le titulaire d’un droit de propriété intellectuelle protégeant l’apparence et la texture des formes pharmaceutiques orales d’une spécialité de référence au sens de l’article L. 5121-1 ne peut interdire que les formes pharmaceutiques orales d’une spécialité générique susceptible d’être substituée à cette spécialité en application de l’article L. 5125-23 présentent une apparence et une texture identiques ou similaires. »
La formulation générale de cet article (« un droit de propriété intellectuelle ») ne fait pas de distinction selon les types de droits (marque, dessins & modèles, brevets ou droit d’auteur), ni selon leur origine (nationale ou communautaire). Sur ce second point, demeure le problème de hiérarchie des normes que nous avions évoqué dans des billets précédents : le législateur national peut-il réduire la portée de droits de PI instaurés par des règlements européens ?
Autre incertitude : comment interpréter la conjonction de coordination qui relie deux éléments de l’aspect du droit ainsi paralysé (« l’apparence et la texture« ), étant soulignée la présence du singulier (« un droit de propriété intellectuelle ») ? Si un laboratoire est titulaire d’un modèle portant sur une texture et d’une marque tridimensionnelle portant sur les seuls contours d’une pilule, l’effet du texte peut-il être contourné, vu que la condition cumulative (si on lit le texte au pied de la lettre) n’est pas remplie ?
Si ce texte n’est pas inapplicable, notre territoire pourrait devenir une porte d’entrée pour les génériques en Europe : les génériques introduits sur le marché français au bénéfice de ces nouvelles dispositions vont-il ensuite pouvoir librement circuler dans l’Espace européen, grâce à un épuisement des droits ?
Enfin, un regret : cette limite aux droits de propriété intellectuelle est insérée non pas dans le Code de la Propriété Intellectuelle mais dans celui de la Santé Publique.