L’interprétation des accords de coexistence constitue une thématique dans l’air du temps. Plusieurs décisions récentes concernent en effet des différends nés entre signataires de telles conventions.
Ainsi, le tout nouveau blog de Me Gilles Ringeisen évoque un arrêt relatif à la coexistence de marques de cosmétiques contenant le terme « Forever » et un arrêt se prononçant sur un accord organisant la coexistence de dénominations sociales comprenant le terme « ETHIX ».
Dans ces deux cas, il est rappelé que l’interprétation des dispositions des accords de coexistence est stricte, voire restrictive. L’application de ce principe dans l’espèce suivante est particulièrement intéressante quand on a la copie des marques sous les yeux.
Il y est question de la coexistence de marques « OCEANET » (ce qui nous ramène 16 ans en arrière : à l’époque, il s’agissait d’une des premières affaires soulevant une autre question, celle de la nature juridique des noms de domaine. Ce fût, pour Alexandre Nappey et moi, l’occasion d’écrire, au siècle dernier, un des premiers articles sur ce sujet).
C’est dans un arrêt du 26 janvier 2015 rendu par la Cour d’appel d’Angers qu’on retrouve les marques OCEANET et l’accord qui régit leur coexistence.
La chronologie des faits peut être schématisée assez simplement à l’aide du tableau suivant (les dates ci-dessous rectifient des coquilles de l’arrêt) :
Microcaz | Oceanet Technology |
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02/09/1996 : dépôt de marque semi-figurative n°9664035316/06/1998 : dépôt de marque semi-figurative n°98737606 | 17/09/1996 : dépôt de marque nominale n°96642572 |
accord de coexistence
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usage sous une forme modifiée :
« logos comportant, sur un fond noir très marqué, la dénomination Oceanet en lettres blanches, associée ou non à d’autres mots, surplombant un logo également sur fond noir composé de trois flammes de couleurs différentes (bleue, orange et verte) formant un cercle » |
10/10/2008 : dépôt de marque n°360419218/03/2011 : dépôt de marque n°3815559 |
Oceanet Technology reproche à Microcaz de ne pas avoir respecté l’accord de coexistence, en ayant « fait évoluer ses marques sans utiliser les éléments figuratifs composant et distinguant ses marques N°96 640 353 et 98 737 606 ».
La question qui se pose est bien évidemment celle de savoir si l’accord imposait à Microcaz de n’utiliser la marque OCEANET qu’avec les graphismes (de cartouche et de paire d’yeux) de ses dépôts de 1996 et 1968.
La rédaction de l’accord, et plus particulièrement du deuxième paragraphe cité dans le tableau ci-dessus, était donc cruciale (« Microcaz s’engage à utiliser ses deux marques semi figuratives ainsi que ses éventuelles marques déclinées avec tous les éléments figuratifs qui les composent et les distinguent. »). A mes yeux, l’ambiguïté de cette phrase de réside notamment dans l’emploi d’un pronom relatif au pluriel (« les« ) précédé de deux groupes nominaux distincts (« ses deux marques semi figuratives » / « ses éventuelles marques déclinées« ), chacun au pluriel, de sorte que le pronom « les » puisse tout aussi bien représenter l’un ou l’autre des groupes nominaux, ou encore les deux à la fois.
Mais la motivation de l’arrêt ne détaille pas la construction grammaticale des termes de l’accord. Selon la Cour, l’accord impose que les éléments graphiques présents dans les marques initiales de Microcaz soient conservés dans ses marques ultérieures.
La cour tranche donc en défaveur de Microcaz (gras ajouté) :
la société Microcaz conservait la possibilité de faire évoluer l’identité graphique de ses marques autour des éléments figuratifs de ses deux marques d’origine, dont en contrepartie, les sociétés appelantes s’interdisaient tout usage.
Elle pouvait le faire par l’adjonction de mots, de forme, de dessins pourvu que dans ses marques déclinées, qu’il n’est certes pas obligatoire de déposer mais qui peuvent néanmoins l’être, et ses nouvelles marques déposées, elle ait pris le soin de conserver les éléments figuratifs distinctif (sic) initiaux.
Alors que chacune se reconnaissait le droit d’exploiter des marques comportant la dénomination ’oceanet’, il ressort des termes du protocole que, pour garantir la coexistence paisible des marques litigieuses, les parties se sont accordées pour faire de l’association des éléments figuratifs des marques N°96 640 353 et 98 737 606, tels que plus haut rappelés, le critère discriminant de leurs marques respectives y compris pour leurs déclinaisons futures.
C’est donc à juste titre que les appelantes soutiennent, sans qu’une quelconque mauvaise foi puisse leur être imputée, que la société Microcaz ne pouvait, dans ses déclinaisons de marque postérieures au protocole, faire usage de signes, logos ne comportant pas les éléments figuratifs qui composaient les deux marques N°96 640 353 et 98 737 606.
Un autre aspect de l’accord de coexistence concerne le partage de la page web accessible via le nom de domaine oceanet.fr (enregistré au nom d’Oceanet Technology).
L’accord prévoit à ce propos que la « page d’accueil commune [accessible à oceanet.fr] comportera deux parties de dimension identiques séparées verticalement. La partie de gauche sera attribuée à l’EURL Oceanet [devenue Oceanet Technology] et la partie de droite à Microcaz. »
Ce système de partage d’adresse est assez singulier (mais pas unique au monde : Cédric Manara peut citer des cas analogues) et, il faut bien le dire, assez peu ergonomique pour les utilisateurs.
Le système de « frames » (élément du code html), utilisé pour mettre en œuvre les dispositions de l’accord, présente aussi un inconvénient en termes de référencement.
Microcaz reprochait à Oceanet Technology qu’à l’occasion d’une recherche (dont la teneur n’est pas précisée) sur Google « les seules coordonnées de la société Oceanet Technology apparaissent, à l’exclusion de celles de la société Microcaz au mépris du principe égalitaire préconisé par le protocole. »
Là encore, la Cour s’en tient à une interprétation stricte et restrictive de l’accord, aux termes duquel « la société Oceanet n’a pour seule obligation que de faire figurer sur son site une page commune d’accueil présentée comme il a plus haut été rappelé et il est constant qu’elle a honoré cette obligation. »
Toujours sur le terrain de la responsabilité contractuelle, les juges ajoutent qu’Oceanet Technology « n’a pris aucun engagement concernant le référencement sur les moteurs de recherches » et écartent donc les prétentions de Microcaz.