Un jugement rendu le 15 mars 2018 par le TGI de Paris donne l’occasion de faire un point sur un aspect bien précis des conditions de validité des dessins & modèles. Il s’agit de ce qu’on peut appeler l’accessibilité de l’art antérieur.
La question se pose lorsque la validité d’un dessin ou modèle est appréciée au regard d’une antériorité, ce qui est le cas le plus fréquent.
Le tribunal (ou l’EUIPO dans le cas d’une action en nullité contre un modèle communautaire) doit dans ce cas apprécier si le modèle dont la validité est en jeu remplit les conditions de nouveauté et de caractère propre/individuel au regard de cette antériorité.
Cet examen suppose préalablement qu’il y a bien eu divulgation de l’art antérieur invoqué. La notion de divulgation implique non seulement la matérialité de la divulgation mais également son accessibilité.
Comme on le verra dans la deuxième partie, ce principe de base se heurte à des difficultés probatoires lorsqu’il s’agit de le mettre en œuvre.
Partons des textes. Le principe de l’accessibilité de la divulgation est exprimé à l’article L511-6 alinéa 1 du CPI (gras ajouté, comme à chaque fois qu’il y en a dans les citations) :
Il s’agit du texte l’ordonnance du 25 juillet 2001 transposant la Directive 98/71 du 13 octobre 1998. Pour digresser un petit peu avant d’en venir aux faits, on pourra noter qu’ici, comme dans de trop nombreux autres passages de ce texte, le législateur a cru bon utiliser un vocabulaire s’écartant de la version française de la Directive (liberté qui nous a aussi donné le caractère propre et l’observateur averti).
L’article 6.1 de la Directive énonce que :
Le tableau ci-dessous montre avec quelques couleurs là où le dictionnaire des synonymes a été employé pour la rédaction de l’article du Code qui nous préoccupe.
L511-6 alinéa 1 CPI | Art 6.1 Directive |
(…) n’a pu être raisonnablement connu, selon
la pratique courante des affaires dans le secteur intéressé, par des professionnels agissant dans la Communauté européenne, avant (…) |
(…) sauf si ces faits, dans
la pratique normale des affaires, ne pouvaient raisonnablement être connus des milieux spécialisés du secteur concerné, opérant dans la Communauté avant (…) |
Au bout du compte, ces écarts semblent anodins. Ceci étant on se demande ce qui a pu les motiver et surtout si l’on est bien, à chaque fois, face aux concepts juridiques prévus par la Directive. Je renvoie ceux qui veulent creuser cette question aux réflexions de Me De Candé (notamment dans le JurisClasseur et dans sa rubrique de la revue Propriétés Intellectuelles). Fin de la parenthèse.
I) Les faits et la solution retenue
Dans l’affaire rapportée, le chef étoilé Alain Passard reproche à Carrefour d’avoir imprimé et distribué un prospectus comportant la photographie d’une tarte aux pommes dont l’aspect est beaucoup trop proche de celui de modèles qu’il avait pris le soin de déposer à l’INPI.
Forcément, la défense de Carrefour consiste à contester le validité des modèles. Pour cela, le distributeur verse aux débat des antériorités tirées de publications signées Martha Stewart.
Avant de les examiner, il serait dommage de se passer des explications du titulaire des modèles. Sans doute l’existence de ce genre de film et l’éloquence de son protagoniste seront un régal pour les avocats qui, en matière de droit d’auteur, doivent caractériser l’originalité d’une œuvre en expliquant la démarche artistique de son créateur.
A) Modèles dont la validité est en jeu
Ce sont les modèles n°080363-004 et n°080363 – 005, reproduits ci-dessous, qui sont invoqués.
Leur date de dépôt est le 23 janvier 2008.
La particularité de ces tartes réside dans « le positionnement des pommes en forme de boutons de rose », obtenues à partir de lamelles finement découpées à l’aide d’un instrument spécifique. Je ne m’étendrai pas ici sur la nature et l’étendue des droits conférés par les enregistrements invoqués, ce n’est pas le sujet.
B) Antériorités invoquées
La défense sollicite la nullité des modèles en produisant deux pièces essentielles qui montrent :
- Une tarte ronde aux nectarines « placées comme des roses » sur le fond de la tarte et « déjà vue » dans le livre Martha Stewart Baking Handbook, publié le 1er novembre 2005 (en anglais).
- Une « rosy apple tart » « du même genre », aux pommes sculptées comme des boutons de roses mais qui est de forme carrée », dans le numéro de février 2005 du magazine Martha Stewart’s Living (également en anglais).
C) Stratégie de défense face à la demande reconventionnelle en nullité
Sachant que ces publications ont été divulguées de façon certaine et antérieurement au dépôt des modèles en jeu, c’est en premier lieu sur leur accessibilité que se focalise la résistance d’Alain Passard.
Pour cela, le titulaire du modèle enregistré s’emploie à montrer que Martha Stewart si elle était connue en France à l’époque du dépôt des modèles en jeu, ce n’était pas dans le domaine culinaire.
Il en apporte la preuve via des articles de presse français qui présentent l’auteur des ouvrages invoqués.
Pour le tribunal :
« il ressort des articles publiés que Martha Stewart qui met en avant aujourd’hui ses qualités culinaires en participant à des émissions télévisées avec des personnalités et dont les publications en langue anglaise sont désormais disponibles sur les sites d’achat en ligne en France était à l’époque du dépôt, connue aux États Unis pour sa fortune et sa réussite auprès d’un public d’américaines friandes de ses conseils pour « rendre la vie plus belle ».
Selon les journalistes qui la décrivent au public dans le Point ou le Nouvel Obs, son domaine était
« la couleur des rideaux du salon ou la fabrication des décorations de Noël en pain d’épice » […] « la perfection domestique ». [Elle était] « devenue la grande prêtresse de la maison dispensant aux Américaines ses conseils de la peinture aux menus élaborés en passant par le jardinage et la couture » […] « une autre clé du succès de MS est de s’attaquer au créneau de M. Tout-Le-Monde (…) ».
Les juges retiennent en conséquence qu’il
« résulte ainsi de ce qui précède qu’il s’agit de personnalités différentes qui ne s’adressent pas au même public. Il est ainsi peu probable que monsieur AP dans son secteur d’activité ait eu connaissance avant le dépôt de ses modèles, des recettes de MS dont les publications doivent être en conséquence écartées. »
Mission accomplie pour Alain Passard, qui préserve ainsi la validité de ses modèles (ce qui lui permet dans cette instance d’obtenir la condamnation de Carrefour).
II) Observations
A) Une lecture pas assez rigoureuse des dispositions légales
Là où l’article L511-6 se référait aux pratiques d’une collectivité (les « professionnels [mentionnés au pluriel] du « secteur intéressé« ) pour déterminer si il y a ou non divulgation, les juges apprécient en l’espèce l’accessibilité de l’art antérieur pour un individu isolé, le titulaire du modèle.
L’écart entre le texte communautaire et celui de la législation française, évoqué en introduction, n’atténue et ne justifie pas l’importance de ces errements. Cette opposition entre le collectif et un individu précis pourrait être assimilée à la distinction classique entre le mode d’appréciation in abstracto et celui in concreto.
On a donc ici, à mes yeux, une application inexacte des dispositions légales. Le tribunal n’aurait pas dû se référer à la capacité de Monsieur Passard à avoir eu vent de certains livres de cuisine américains. Il aurait dû se référer à la pratique courante du secteur dans la masse duquel se fond le chef de l’Arpège.
Au delà de ce problème on peut aussi entrevoir une asymétrie résultant de l’harmonisation. Aussi bien les dispositions de l’article L511-6 CPI qui s’appliquent aux modèles nationaux français, que les dispositions de l’article 7.1 du Règlement qui s’appliquent aux dessins et modèles communautaires se réfèrent à un groupe de professionnels « agissant dans la Communauté« . Dans ces deux cas, le groupe d’opérateurs est d’envergure communautaire et ce quand bien même l’étendue géographique de la protection des modèles en question diffère sensiblement. C’est le prix à payer quand on est dans l’Union.
B) Jurisprudence communautaire
Pour enrichir le propos sur le sujet de l’accessibilité des antériorités, il est intéressant de se pencher sur la façon dont l’Office et la Cour de Justice ont mis en œuvre les dispositions de l’article 7 du Règlement n°6/2002.
1) Composition des milieux spécialisés
Une décision de la Division d’Annulation de l’EUIPO (Division d’Annulation, 28 janvier 2014, ICD000009018) souligne que la divulgation s’apprécie au regard d’un ensemble, qui ne se limite pas à certains types d’acteurs :
20) The circles may comprise all persons involved in the given business, not only designers or decision takers
La Troisième Chambre de Recours (22 août 2016, R 779/2015-3) va dans le même sens en nommant dans une liste ouverte quelques exemples de catégories d’opérateurs du secteur :
41 (…) The sector concerned by the design is that of bracelets, i.e. fashion items and the circles specialised are, accordingly, those of professionals such as designers, traders, manufacturers of these goods. (…)
2) Degré de curiosité des milieux spécialisés
Dans le domaine des équipements de communication, les milieux spécialisés du secteur opérant dans l’Union, dans la pratique normale des affaires, participent aux foires et consultent les revues spécialisées de ce secteur (arrêt du 22 juin 2010, Shenzhen Taiden/OHMI – Bosch Security Systems, T‑153/08, point 21).
Pour l’Avocat Général Wathelet, les milieux spécialisés du secteur opérant dans l’Union consultent, dans la pratique normale des affaires, les revues spécialisées de ce secteur, et il est d’autant plus plausible que les milieux spécialisés du secteur consultent les bases de données mondiales en matière de brevets. S’agissant en l’espèce de modèles portant sur des pavillons de jardin, il ne saurait dès lors être exigé des milieux spécialisés du secteur concerné d’entreprendre des démarches particulières et approfondies pour prendre connaissance d’un modèle ou d’un dessin antérieur (conclusions de l’avocat général Wathelet dans l’affaire H. Gautzsch Großhandel, C‑479/12, Rec, point 53). Ces conclusions peuvent laisser perplexe car elles ne nous disent pas clairement où il faut placer le curseur…
Dans un autre cas (Division d’Annulation, 19 juin 2017, ICD 10 219), l’EUIPO semble avoir une perception des alpinistes européens comme étant des personnages aussi sportifs qu’intellectuellement curieux, en n’employant aucune transition entre ces deux paragraphes :
« (…) in the present case the sector concerned comprises mountaineers or sportsperson interested in training themselves to perform in conditions of reduced supply of oxygen. These are specialists and it is very likely that they will know the providers of masks or breathing masks created for these specific purposes of mountaineering and professional sports and will be able to find their specialised websites or other publications outside the European Union. Consequently, publications outside the European Union could reasonably have become known to the persons forming part of the circles specialised in the sector of alpinism or sports for which breathing masks could be needed.
The earlier design was published in a patent application in the United States of America, Pub. No. US 2013/0319420 A1. (…) »
Si l’on peut s’étonner de voir autant de qualités réunies dans ces vaillants personnages de référence que sont les utilisateurs des produits, il faut se rappeler que, comme vu au point a) ci-dessus, l’on aurait pu inclure dans la composition des cercles spécialisés de l’espèce non seulement les créateurs ou les décisionnaires du secteur mais également des professionnels tels que les commerçants ou les fabricants des produits en cause. Ces professionnels auront peut être plus naturellement tendance à aller consulter les brevets américains pouvant concerner ces produits.
3) Preuves et jeux de présomptions
Lorsque la preuve de la divulgation est apportée, cela crée ce que la jurisprudence appelle une présomption de divulgation, mais qui semble en réalité être une présomption de ce que j’appellerais plutôt l‘accessibilité de cette divulgation par les milieux intéressés.
Ainsi, celui qui invoque un dessin ou modèle antérieur doit en prouver la divulgation. Il bénéficie de ce fait d’une présomption de l’accessibilité de cette divulgation pour les milieux intéressés.
Le titulaire du dessin ou modèle communautaire contesté peut réfuter cette présomption en démontrant à suffisance de droit que les circonstances de l’espèce pouvaient raisonnablement faire obstacle à ce que ces faits soient connus des milieux spécialisés du secteur concerné dans la pratique normale des affaires.
Le titulaire du modèle contesté doit donc, de son côté, apporter une preuve pour renverser la présomption d’accessibilité.
Schématiquement, il s’agit d’apporter la preuve que les milieux spécialisés n’avaient normalement pas connaissance de la divulgation, autrement dit il faut apporter la preuve d’un fait négatif. En pratique, lorsqu’il s’agit de prouver un fait négatif, soit il est admis que la charge de la preuve est renversée, soit le plaideur doit s’efforcer d’apporter la preuve d’un fait positif contraire. C’est une preuve qui peut s’avérer diabolique…
a) Preuve d’une difficulté matérielle d’accès à la divulgation
Il est des cas où les démarches à accomplir pour accéder au document qui divulgue l’antériorité sont un peu plus compliquées que d’ordinaire.
C’est par exemple le cas d’une demande d’enregistrement de modèle d’utilité A, présentée à l’instant TA dans un premier pays où elle n’est pas publiée, mais dont la priorité a été revendiquée dans un dépôt B effectué dans un autre pays. La publication de la demande d’enregistrement B dans ce deuxième pays, qui intervient au moment TB, ne comporte aucune illustration. En revanche, il est possible de commander auprès de l’Office une copie du dépôt (via une requête en inspection publique), ce qui permet d’avoir en main le document A où figurent les illustrations. Le modèle en jeu a été déposé après le moment TB, mais avant la publication des enregistrements A et B. L’accessibilité du document A à l’instant TB pourrait remettre en cause la nouveauté ou le caractère individuel du modèle en jeu.
Mais dans ce cas de figure, l’antériorité étant difficilement accessible, on considère qu’elle n’est pas réputée divulguée.
Autrement dit, « l’existence d’un document conservé par un office de la propriété intellectuelle qui n’est consultable qu’au moyen d’une requête en inspection publique ne fait pas de celui-ci un document connu, dans la pratique normale des affaires, des milieux spécialisés du secteur concerné et, partant, ne donne pas lieu à la divulgation d’un dessin ou modèle antérieur au sens de l’article 7 du RDC » (Guidelines EUIPO, Examen des demandes en nullité de dessins ou modèles, 5.5.1.3).
C’est ce qui a été jugé par la Troisième Chambre de Recours (Troisième Chambre de Recours, 22 mars 2012, R 1482/2009-3 §36) :
36 The priority date of the contested RCD of 11 September 2003 falls in between the date that D1 was registered and later published. No information has been provided of whether the Turkish utility model application TR 2003 00056 (D2) was ever published. The contested decision found that the files of D1 including a copy of the priority document were available to the public, namely by means of inspection of files at the GPTO, since the date of the registration of D1. This date of registration was prior to the priority date of the contested RCD. In the opinion of the Invalidity Division the presence of a document in a file kept by an IP Office, the file being available to the public by means of inspection of files, is not an event that can reasonably have become known in the normal course of business to the circles specialized in the sector concerned.
La Chambre de Recours a de nouveau appliqué cette solution un an plus tard (Troisième Chambre de Recours, 15 avril 2013, R 443/2011-3 §25 et R442/2011-3 §26).
La preuve de la nécessité d’avoir à accomplir des démarches aussi particulières pour pouvoir visualiser l’art antérieur n’est pas très difficile à rapporter. Il s’agit d’une situation assez objective.
Mais tout n’est pas toujours aussi facile.
b) Inaccessibilité – charge de la preuve
Les principes relatifs à la charge de la preuve sont énoncés dans l’arrêt relatif à un modèle de parapluie asymétrique (TUE 21 mai 2015, affaires T-22/13 et T-23/13 – arrêt déjà évoqué ici en 2015 -) :
¨28 (…) la question de savoir si les personnes faisant partie des milieux spécialisés du secteur concerné pouvaient raisonnablement avoir connaissance d’événements s’étant produits en dehors du territoire de l’Union est une question de fait dont la réponse dépend de l’appréciation des circonstances propres à chaque affaire (arrêt H. Gautzsch Großhandel, point 27 supra, EU:C:2014:75, point 34).
¨29 Aux fins d’effectuer l’appréciation mentionnée par la Cour, il convient d’examiner la question de savoir si, sur la base des éléments factuels, qui doivent être fournis par la partie qui conteste la divulgation, il y a lieu de considérer que ces milieux n’avaient réellement pas la possibilité de prendre connaissance des faits constitutifs de la divulgation, tout en tenant compte de ce qui peut raisonnablement être exigé de la part de ces milieux pour connaître l’état de l’art antérieur. Ces éléments factuels peuvent, à titre d’exemple, porter sur la composition des milieux spécialisés, leurs qualifications, coutumes et comportements, l’étendue de leurs activités, leur présence aux évènements lors desquels des dessins ou modèles sont présentés, les caractéristiques du dessin ou modèle en cause, tels que leur interdépendance avec d’autres produits ou secteurs, et les caractéristiques des produits dans lesquels le dessin ou modèle en cause a été intégré, notamment le degré de technicité du produit concerné. En tout état de cause, un dessin ou modèle ne peut pas être réputé être connu dans la pratique normale des affaires si les milieux spécialisés du secteur concerné ne pourraient le découvrir que par hasard.
c) Charge de la preuve de l’inaccessibilité – nécessité d’apporter la preuve d’un fait négatif
C’est bien une preuve négative qu’il convient d’apporter, puisque c’est l’inaccessibilité qui doit être établie (toujours d’après l’arrêt Stenz sur le modèle de parapluie asymétrique, TUE 21 mai 2015, affaires T-22/13 et T-23/13, §32) :
32 Cependant, il semble raisonnable de considérer que le créateur d’un parapluie anti-vent, avant de le mettre sur le marché, entame des recherches dans de registres des brevets, car il peut être réputé informé du fait qu’un tel produit répond à des exigences non seulement esthétiques mais également, et dans une mesure non négligeable, techniques, et qu’il est dès lors raisonnable et plausible qu’un parapluie anti-vent ait déjà été breveté. En tout état de cause, il convient de souligner, à la lumière de ce qui a déjà été exposé aux points 25 à 29 ci-dessus, qu’il appartenait à la requérante d’étayer sa thèse selon laquelle les milieux spécialisés du secteur des parapluies ne procèdent pas à de telles consultations dans le registre de l’USPTO et qu’elle n’a cependant présenté aucun élément factuel ou argument qui ne soit pas simplement une allégation qui permettrait de parvenir à une telle conclusion.
Quelques mois plus tard, le principe est réaffirmé par le Tribunal (TUE 15 octobre 2015, T251/14) :
26 En tout état de cause, un dessin ou modèle est réputé avoir été divulgué une fois que la partie qui fait valoir la divulgation a prouvé les faits constitutifs de cette divulgation. Pour réfuter cette présomption, il incombe, en revanche, à la partie qui conteste la divulgation de démontrer à suffisance de droit que les circonstances de l’espèce pouvaient raisonnablement faire obstacle à ce que ces faits soient connus des milieux spécialisés du secteur concerné dans la pratique normale des affaires. En effet, il convient de souligner qu’il appartenait à la requérante d’étayer sa thèse selon laquelle les milieux spécialisés du secteur ne procèdent pas à des consultations du registre de l’USPTO et qu’elle n’a cependant présenté aucun élément factuel ou argument qui ne soit pas simplement une allégation qui permettrait de parvenir à une telle conclusion.
Le tribunal est donc adepte de la preuve de faits négatifs, ce en quoi je ne saurais l’approuver. Factum negantis nulla probatio est, dit-on lorsqu’il s’agit de glisser une maxime latine (sur le principe, voir : De la preuve d’un fait négatif, M. E. Bonnier, Revue des revues de droit publiées à l’étranger: Volumes 3 à 4, 1er janvier 1840, p. 72).
La décision qui suit montre que l’adoption d’une solution impliquant une autre administration de la preuve reste encore à imposer au Tribunal.
d) Circonstances affaiblissant la force de la présomption au point d’inverser la charge de la preuve (qui devient celle de l’accessibilité)
A une date qui se situe entre les deux arrêts précités aux points b) et c), la Troisième Chambre de Recours a exigé non seulement que celui qui invoque un dessin ou modèle antérieur en prouve la divulgation mais elle a également fait peser sur ses épaules la charge de la preuve de l’accessibilité de la divulgation (Troisième chambre de Recours, 22 août, R 779/2015-3) :
40 (…) the publication of the image was made on a [lady’s]blog, (…) about ‘her life and reviews places, people, events, food and things that she, her husband and her children experience’ (…).
41 (…) the blog in question is of a completely personal and private nature: (…) it is designed to target, in principle, those who already know the blogger, namely family and friends. The private nature of the blog is the first reason why the posting of the bracelet on it is unlikely to have become known to the ‘circles specialised in the sector concerned’ within the meaning of Article 7 CDR. The sector concerned by the design is that of bracelets, i.e. fashion items and the circles specialised are, accordingly, those of professionals such as designers, traders, manufacturers of these goods. (…)
42 (…) Nothing in Ms Ang Sen’s profile thus justifies that the specialised circles could have become aware of her blogging activities. In this situation, it was up to the invalidity applicant to explain why the contents of the postings of a perfectly ordinary person could reach the relevant circles in the Union. No such explanation was submitted before either the Invalidity Division or the Board of Appeal.
Ceci est à contre courant de la jurisprudence communautaire exposée un peu plus haut aux deux points précédents.
Du coup, qui doit prouver quoi ? Voici donc un aspect procédural qui mériterait d’être clarifié par la Cour de Justice.
Référence du jugement évoqué en première partie :
TGI Paris, 3ème chambre 4ème section,
15 mars 2018
RG 16/10841
Alain Passard / Carrefour Hypermarché
NB : en complément de ce que j’ai écrit ci-dessus, il me semble que les paragraphes 102 et 103 de l’arrêt Nivelles ( CJUE, 21 septembre 2017, affaires C‑361/15 P et C‑405/15 P ) méritent également une attention certaine lorsqu’il s’agit d’examiner si doit jouer l’exception à la divulgation du modèle antérieur.