Le phénomène des dépôts de marques opportunistes, cherchant à monopoliser un signe bénéficiant d’un fort bruit médiatique, n’est pas inconnu des lecteurs du pMdM. Certains sont amusants et d’autres affligeants.
L’afflux de dépôts de marques « Je Suis Charlie » après l’attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo du 7 janvier 2015 constitue le pire exemple de ce type de réaction. Un ordre de grandeur d’une cinquantaine de dépôts était évoqué dans la matinée du 13 janvier (Les Echos); [MàJ 15/1/2015 : 120 dépôts dont « deux dossiers qui visent des armes », selon Nice Matin]. Les demandes de marques françaises étant publiées environ 6 semaines après leur dépôt, ces demandes de marques ne sont pas accessible à ce jour.
Au Benelux, l’Office a publié une demande de marque « Je suis charlie », déposée le 8 janvier (ce qu’indiquent Markmatters et IPKat).
L’expression « Je Suis Charlie » s’est très rapidement répandue sur les réseaux sociaux et lors des rassemblements et marches en réactions aux terribles attentats. L’image comprenant ce slogan a été mise en ligne par Joachim Roncin, directeur artistique du magazine Stylist, le 7 janvier à 11h52 (Le Progrès). Face aux premiers signes de commercialisation de produits couvert de ce visuel, J. Roncin se déclarait opposé à une utilisation mercantile du message et de l’image dont il était à l’origine.
Dans l’après-midi du 13 janvier, l’INPI a réagi aux informations sur la cinquantaine de dépôts de marques françaises en publiant un communiqué annonçant une politique de rejet de tels dépôts. Pour l’INPI, « ce slogan ne peut pas être capté par un acteur économique du fait de sa large utilisation par la collectivité« .
La motivation sous-jacente à l’approche de l’Institut n’est pas, comme certain ont pu le supposer, celle de l’atteinte à l’ordre public (en quoi ce slogan serait-il une menace ? -NB: l’OHMI n’exclut pas cette approche-), mais apparait comme relative à l’incapacité du signe à exercer la fonction essentielle de la marque. Ceci semble cohérent eu égard à son usage massif. [màj du 10/2/15 : l’approche de l’INPI pourrait à présent se baser sur les notions de bonnes moeurs et d’ordre public].
Le récent arrêt de la cour de cassation dans l’affaire «I ♥ PARIS» (6 janv. 2015, n° 33-17.108) va en ce sens en retenant que : « les marques « I ♥ PARIS » et « J ♥PARIS » seront perçues par le consommateur comme un signe destiné à extérioriser l’enthousiasme d’une personne pour un lieu particulier et non comme une garantie d’origine commerciale du produit » (selon l’article de LSA).
Pour une perspective américaine sur les marques opportunistes faisant référence à l’actualité, je recommande le blog de Roberto Ledesma.
Mises à jour
14/1/2015 :
16/1/2015 :
- L’OHMI annonce également être réticente à l’enregistrement de marque communautaires JE SUIS CHARLIE. Les refus pourraient être basés sur les dispositions de l’Article 7 (1) (f) (ordre public et bonnes mœurs) et celles de l’Artice 7(1)(b) (absence de caractère distinctif) du Règlement sur la marque communautaire.
- Assez étrange : WIPR (16/1/15) rapporte que le mandataire ayant déposé une demande de marque américaine JE SUIS CHARLIE aurait envoyé une lettre de mise en demeure au journal Charlie Hebdo. Sur quelles bases ? On l’ignore (« Stanwyck added that he has sent a cease-and-desist letter to Charlie Hebdo, although it is unclear on what grounds. »)
- Une demande de marque a aussi été déposée en Italie sous le n° TO2015C000041 (citée par Peter McAleese dans la discussion du groupe MARQUES sur LinkedIn).
- La demande de marque Benelux a été retirée par son déposant.
19/1/2015 :
- Un dépôt australien est signalé (SmartCompany, via Patricia Williams).
21/1/2015 :
- Un dépôt de marque communautaire, effectué le 15 janvier.
10/2/2015:
- Le BOPI n°15/05 (qui comprend en Partie I des demandes de marques déposées entre les 5 et 11 janvier 2015) et le BOPI n°15/06 mentionnent des dizaines de dépôts « contraire(s) aux bonnes mœurs et à l’ordre public » et ne les publient pas.
17/02/2015
- Il semble que l’INPI ait considéré divers dépôts postérieurs au 7 janvier 2015 et contenant le terme CHARLIE (dont très probablement les demandes de marques « Je suis Charlie ») comme étant « contraire(s) aux bonnes mœurs et à l’ordre public ». Dans certains cas, l’Institut a fait machine arrière, comme par exemple pour :
- Souvenez-vous : Charlie 07/01/2015 (marque française 4149158)
- l’effet charlie (marque française 4148167)
- CHARLIE La Liberté (marque française 4148301)
- NO AMALGAM CHERCHER CHARLIE, C’EST NOUS TROUVER TOUS (marque française 4147998)
- Charlie Never Die (marque 4148052)
Toutes ces demandes de marques ont en effet été republiées pour erratum, avec une mention de type « Il convient de considérer la mention « Contraire aux bonnes moeurs et à l’ordre public » comme nulle et non avenue. Le refus provisoire de publication ayant été levé, le dépôt en cause fera l’objet d’une publication complète en volume 1 partie 4 du Bopi« .