La clause de réparation à la française a finalement réussi à se frayer un chemin pour entrer dans le Code de la Propriété Intellectuelle. Les tentatives antérieures d’une telle réforme furent bloquées par le Conseil Constitutionnel, peu amateur de cavaliers législatifs (voir par exemple ce billet de janvier 2020).
La réforme figure à l’article 32 II de la loi 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets. Cet article apparait sous des intitulés hiérarchiques formulés de la façon suivante : « Titre III : PRODUIRE ET TRAVAILLER (Articles 30 à 102) Chapitre Ier : Verdir l’économie (Articles 30 à 39)« .
Les dispositions verdissantes de l’article 32 qui renforcent la résilience et réforment le Code de la Propriété Intellectuelle sont rédigées comme suit :
II. – Le code de la propriété intellectuelle est ainsi modifié :
1° Après le vingtième alinéa de l’article L. 122-5, il est inséré un 12° ainsi rédigé :
« 12° La reproduction, l’utilisation et la commercialisation des pièces destinées à rendre leur apparence initiale à un véhicule à moteur ou à une remorque, au sens de l’article L. 110-1 du code de la route. » ;
2° L’article L. 513-1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La durée maximale de vingt-cinq ans prévue au premier alinéa est ramenée à dix ans pour les pièces mentionnées au 4° de l’article L. 513-6 pour lesquelles le même 4° ne prévoit pas d’exception à l’exercice des droits conférés par l’enregistrement d’un dessin ou modèle. » ;
3° L’article L. 513-6 est ainsi modifié :
a) Au début des deuxième à dernier alinéas, les mentions : « a », « b » et « c » sont remplacées, respectivement, par les mentions : « 1° », « 2° » et « 3° » ;
b) Il est ajouté un 4° ainsi rédigé :
« 4° D’actes visant à rendre leur apparence initiale à un véhicule à moteur ou à une remorque, au sens de l’article L. 110-1 du code de la route, et qui :
« a) Portent sur des pièces relatives au vitrage ;
« b) Ou sont réalisés par l’équipementier ayant fabriqué la pièce d’origine. »
Pour essayer de rendre ces quelques lignes plus digestes, on peut schématiser dans ce tableau les nouvelles limites aux prérogatives conférées par le droit d’auteur et par l’enregistrement de modèles nationaux (ce qui suppose une interprétation et donc des réserves de ma part : ce que vous lisez est livré sans garantie).
Produits concernés | conditions | Base légale | Limite ou exception |
---|---|---|---|
Pièces de véhicule à moteur ou à une remorque | rendre leur apparence initiale au véhicule à moteur ou à une remorque | L. 122-5 12° | Les DA ne peuvent empêcher la reproduction, l’utilisation et la commercialisation de ces pièces |
D&M de pièces de véhicule à moteur ou à une remorque | rendre leur apparence initiale à un véhicule à moteur ou à une remorque ET * Ces actes doivent porter sur des pièces relatives au vitrage OU BIEN : * être réalisés par l’équipementier ayant fabriqué la pièce d’origine | L. 513-6 4° | Les D&M FR en vigueur ne peuvent empêcher les actes visant à rendre leur apparence initiale à un véhicule à moteur ou à une remorque |
D&M de pièces de véhicule à moteur ou à une remorque (c’est une hypothèse car j’avoue être troublé par la rédaction, fort peu limpide notamment en raison du renvoi ; les sources exprimant les intentions du législateurs pourraient donner un éclairage) | L. 513-1 | Durée maximale de protection des D&M FR : 10 ans |
Ces dispositions n’introduisent une « clause de réparation » que de façon sectorielle et partielle. Elles ont le défaut d’induire un niveau de complexité résultant notamment d’une réduction de la durée de protection pour les modèles relatifs à certains produits (comme ont cru bon de le faire la Suède, la Finlande et le Danemark – qui ont opté pour 15 ans – comme indiqué dans le tableau que je publiais en mai 2017). La rédaction de ces dispositions n’est pas d’une limpidité absolue, notamment du fait de l’emploi de renvois (l’alinéa nouveau de l’article L. 513-1 est un exemple criant de ce défaut).
Par rapport aux précédentes tentatives d’introduction de cette réforme en droit français, on pourra noter qu’un point de complexité est heureusement délaissé : l’entrée en vigueur de ces nouvelles limites et exceptions n’est pas étalée dans le temps. Mais la date d’entrée en vigueur des dispositions qui modifient le CPI n’est pas exempte de coquilles …
Cette réforme est adoptée sans aucune consultation des juristes, CPI et avocats spécialisés et alors que se prépare -via des consultations publiques- une réforme de la Directive 98/71 (le futur Paquet Modèles) qui devrait notamment porter sur l’introduction d’une clause de réparation.
Références:
LOI n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (1)
NOR : TREX2100379L
ELI : https://www.legifrance.gouv.fr/eli/loi/2021/8/22/TREX2100379L/jo/texte
Alias : https://www.legifrance.gouv.fr/eli/loi/2021/8/22/2021-1104/jo/texte
JORF n°0196 du 24 août 2021
Texte n° 1
La Feda (Fédération des syndicats de la distribution automobile) est à l’origine de la réforme : https://www.caradisiac.com/a-partir-de-2023-les-constructeurs-n-auront-plus-le-monopole-des-pieces-carrosserie-191601.htm
Communiqué de l’Autorité de la Concurrence : https://www.autoritedelaconcurrence.fr/fr/communiques-de-presse/pieces-detachees-automobiles-lautorite-de-la-concurrence-se-felicite-de
Bonjour Monsieur
Pensez vous qu’à la lumière de cette nouvelle position française cette clause de réparation puisse être maintenant adoptée dans tous les pays européens ? on sait que l’Allemagne fait de la résistance , la position formulée par le VDA au parlement allemand (engagement de ne pas opposer les droits de DM aux équipementiers d’origine) n’ayant jamais été suivie par les constructeurs allemands et que plusieurs pays sans réelle conviction s’étaient contenté de s’aligner sur les positions française et allemandes respectivement ce qui pourrait faciliter une adoption massive européenne ( voir ailleurs notamment aux US…)
Bonjour,
L’histoire a montré à quel point il est difficile d’arriver à une position qui fasse consensus. En tout état de cause, c’est un sujet qui est au coeur de la réforme de la Directive. Je me garderai bien de prédire si la clause de réparation sera adoptée et quelle en seront les contours exacts, mais il semble que c’est dans ce sens que souffle le vent (plutôt que vers le maintien d’un « freeze-plus »).
Bonjour Monsieur,
Merci pour cet excellent article !
Pouvez-vous me préciser si cette « clause de réparation » s »applique uniquement aux véhicules de fabricants français (Peugeot, Renault…) ou bien si elle s’applique aussi aux fabricants étrangers (Seat, Mercedes…). Dans le cadre d’un achat du véhicule en France bien entendu !
Merci.
Bonjour,
Dans ce texte, la localisation du fabricant n’est pas un critère. La clause de réparation est donc applicable au enregistrements de dessins ou modèles français concernés, détenus par des sociétés étrangères.
Pour tenter de rendre ce texte plus compréhensible, je l’ai schématisé ici : http://pmdm.fr/wp/2022/12/la-clause-de-reparation-a-la-francaise-applicable-au-premier-janvier-2023-aux-dessins-et-modeles-francais/