Le 18 octobre 2022, les sociétés Skechers U.S.A. Inc. et Skechers U.S.A. Inc. II ont assigné Hermès International et Hermès of Paris Inc. auprès de la Manhattan federal court de New York en invoquant une atteinte à deux de leurs dessins et modèles enregistrés aux Etats-Unis.
Dans ses écritures, Skechers soutient que les sneakers Éclair et Envol commercialisées par Hermès portent atteinte à deux enregistrements de dessins et modèles, qui correspondent à l’aspect d’éléments de chaussures de la gamme Go Walk Massage de Skechers.
C’est donc une maison de luxe -plus habituée à être de l’autre côté de la barre- qui est accusée de copie. Autre élément peu ordinaire, la différence de prix entre les produits du demandeur et ceux du défendeur ne correspond pas exactement au schéma du copieur qui siphonne le marché du titulaire de droits en cassant les prix : sur le marché français une paire de Skechers GO WALK Massage Fit™ – Upsurge est vendue 130 EUR, alors que les modèles qui correspondent aux produits litigieux (Envol et Eclair, chez Hermès) sont commercialisés respectivement à 690 EUR et 620 EUR (l’écart de prix sur le marché américain serait même supérieur : on peut y acheter des « Go Walk shoes for no more than $110, whereas the Éclair retails for $800 and the Envol for $940. » indique Highsnobiety).
Pour connaitre la portée exacte de ce qui est invoqué dans ce litige, il convient de consulter l’assignation ainsi que les enregistrements de dessins et modèles en cause.
L’assignation est visible ci-dessous :
assignation-Skechers-USA-vs-Hermes-International-et-Hermes-of-Paris-Inc
Les deux dessins et modèles (« design patents » en V.O., ce qui a pu conduire certain média à indiquer de façon erroné qu’il s’agissait de chaussures brevetées) dont la contrefaçon est alléguée sont ceux couverts par les enregistrements D965,263 S (dépôt du 27/05/2021 enregistré le 4/10/2022) et D925,183 S (dépôt du 3/09/2020 enregistré le 20/07/2021).
Voici les certificats d’enregistrement de ces deux modèles :
US-D965263-S_I US-D925183-S_I
Skechers soutient que chacune des deux sneakers d’Hermès porte atteinte aux deux enregistrements de dessins et modèles invoqués.
La comparaison de ces titres avec les sneakers litigieuses à laquelle il est procédé dans l’assignation ne repose pas sur une énumération des caractéristiques protégées et de celles présentes dans les produits litigieux. Il est simplement soutenu que les sneakers Éclair et Envol « ont substantiellement la même semelle contrefaisante« . Le langage ne vient pas identifier les éléments qui sont au cœur du litige. Ce sont des tableaux à deux colonnes qui laissent le lecteur procéder à une comparaison.
Comme on peut le voir dans la revendication (claim) et la description de chacun des dessins et modèles enregistrés, nous sommes en présence de modèles partiels : le modèle ‘183 concerne « la partie inférieur de la semelle externe d’une chaussure » et « les lignes pointillées présentes dans les dessins figurent des portions de la partie supérieure de la chaussure, de la périphérie de la semelle intermédiaire et de la partie inférieure de la semelle extérieure qui ne font pas partie du modèle revendiqué. Les surfaces dépourvues de lignes d’ombrage ne sont pas revendiquées. » (traduction libre). Dans le modèle ‘263, la revendication porte sur la « périphérie d’une semelle intermédiaire de chaussure » et « les lignes pointillées présentes dans les dessins figurent des portions de la partie supérieure de la chaussure, de la périphérie de la semelle intermédiaire et de la partie inférieure de la semelle extérieure qui ne font pas partie du modèle revendiqué.«
Dès lors, il apparait approprié de ne comparer que les parties de produit qui correspondent à de telles portions ainsi délimitées. L’aspect du reste des sneakers n’est pas pertinent.
Les dispositions invoquées dans l’assignation sont essentiellement les articles 35 U.S.C. §§271 (Infringement of patent), 289 (Additional remedy for infringement of design patent) et 284 (damages). Des mesures d’interdiction sont sollicitées ainsi que des dommages et intérêts, mais à ce stade, aucun montant n’est avancé. Il est également demandé qu’un jury soit constitué pour statuer.
Il est difficile de prédire la suite des opérations, mais on peut imaginer qu’Hermès commence par procéder à une évaluation de la solidité des titres qui lui sont opposés puis à celle de la portée des droits invoqués et que plusieurs phases de négociations vont s’enclencher. Il arrive aussi que dans de tels litiges d’autres instances éclosent entre les parties.