Les dépôts de marques de l’Union Européennes portant sur des portraits de mannequins hollandais avaient été remarqués en leur temps (cf. par exemple ce billet de 2017 sur la décision relative au portrait de Maartje Verhoef).
Le sujet émerge à nouveau, avec de récentes décisions de l’EUIPO au niveau de l’examen ou de la quatrième Chambre de Recours de l’Office. Il y a (lors de la rédaction de ces lignes) une quinzaine de marques de l’Union Européenne qui ont été déposées pour des services de mannequinat et qui consistent chacune en un portrait photographique d’un mannequin. Elles sont listées ci-après.
L’une des décisions récentes (signalée par J. Tassi) concerne la marque ci-contre. Le portrait de Puck Schrover a fait l’objet d’une décision de rejet, rendue le 15 septembre 2023 (texte original accessible ici, en néerlandais), laquelle trouve, en substance, que, d’une part, le visage de ce mannequin est trop fade et que, d’autre part, le déposant n’avait pas apporté la preuve de l’acquisition du caractère distinctif par l’usage.
La demande de marque de l’UE concernée est celle portant le n°018864324 et qui, point important, visait des services de modèle ou de mannequin à des fins publicitaires (classe 35) ou à des fins de loisirs et récréatives (classe 41).
Face au rejet initial de la demande d’enregistrement, le déposant avait répliqué en présentant très schématiquement deux types d’arguments : d’une part, la marque est distinctive car elle est reconnaissable puisqu’elle représente un individu particulier et, d’autre part, cette marque a acquis un caractère distinctif par l’usage qui en a été fait.
Le second volet de cette argumentation n’est, a priori, pas le plus intéressant ici. Cependant, la stratégie consistant à aller sur ce terrain et surtout la façon dont elle a été mise en œuvre apparaissent maladroites et ont probablement eu une influence négative sur l’appréciation de l’examinatrice.
En effet, selon le résumé des arguments du déposant fourni dans la décision, il était soutenu que Puck Schrover est célèbre notamment en Europe (« bekendheid in Europa en daarbuiten« ) et que son visage « est sa marque et, grâce à son succès, elle a acquis une popularité et une renommée qui justifient l’enregistrement de son portrait en tant que marque. » (« Het gezicht van Puck Schrover is haar merk en met haar succes heeft zij een verzilverbare populariteit en bekendheid opgebouwd die voldoende aanleiding geeft voor de inschrijving van haar portret als merk. »).
Sur ce volet, les éléments de preuves consistaient par exemple dans les documents suivants :
- Annexe 2 : Aperçu des défilés de mode auxquels Puck Schrover a participé, y compris pour Chanel, Dior, Dolce & Gabbana, Fendi, Hermès, Isabel Marant et Louis Vuitton.
- Annexe 3: aperçu des couvertures et articles avec un certain nombre d’exemples de photos dans des magazines de mode tels que ELLE, Porter et Vogue.
- Annexe 4 : Images de campagnes de mode internationales de marques de mode internationales montrant Puck Schrover (couverture de magazines de mannequins internationaux, participation à de nombreux défilés de mode et participation à de grandes campagnes publicitaires internationales)
Sans que la copie de ces documents ne soit accessible, on peut aisément comprendre que si les photographies dans ces annexes 2 à 4 représentaient toutes le même individu, ces photos n’étaient pas le portrait déposé à l’EUIPO sous le numéro 018864324. Et c’est bien là le cœur du problème.
De cette absence d’identité parfaite, on peut déduire que le déposant imaginait probablement que la marque considérée lui conférerait un monopole non pas sur l’image qui constitue la marque 018864324, mais, plus largement, sur l’aspect de la personne représentée, quelques soient la pose, le costume, l’éclairage ou le maquillage utilisés. Autrement dit, dans une telle conception, la marque ne serait pas le visuel déposé, mais l’aspect de Mademoiselle Schrover.
Pour revenir au motif de rejet, il s’agissait de la capacité du signe à remplir la fonction essentielle d’une marque. A cet égard, l’article 7.1.b du Règlement sur la marque de l’UE énonce qu’un signe « dépourvu de caractère distinctif » doit être refusé à l’enregistrement.
Dans sa décisions, l’examinatrice considère qu’au regard des services considérés :
(…) l’image représente un mannequin ou un modèle photographique parmi d’autres. (…)
(…) pour le large groupe de consommateurs auquel il s’adresse, il s’agit d’une représentation photographique de n’importe quelle (jeune) femme.
(…)
Selon l’Office, il n’y a pas de caractéristique, ni un élément mémorable ou frappant, qui confère au signe un minimum de minimum de caractère distinctif au signe pour permettre aux consommateurs de le percevoir, autre que la simple apparence.
S’il est vrai que chaque individu est fondamentalement unique, le fait de reconnaître une personne comme étant « cette » personne n’équivaut pas à considérer l’image en question comme un indicateur d’origine commerciale, tel que le public puisse distinguer les services du demandeur (…).
L’unicité et le caractère distinctif sont deux concepts différents. (…)
Traduit avec www.DeepL.com/Translator
A ce stade de la motivation, l’examinatrice illustre son propos avec la phrase que les commentateurs (tels Jérôme Tassi sur Linkedin ou Nedim Malovic sur IPKat) ont retenue et citée.
Bien sûr, il peut y avoir des visages aux traits dominants ou comme le nez de Barbra Streisand ou les cheveux de Donald Trump. Ces caractéristiques pourraient bien sûr être prises en compte pour déterminer le caractère distinctif d’un visage. En général, les gens accordent le plus d’attention aux yeux, au nez, à la bouche, aux oreilles et aux cheveux d’une personne.
traduction non officielle
Au delà du côté people et de la stigmatisant de caractéristiques corporelles, ce paragraphe dérape aussi vers les exigences que la jurisprudence européenne fait peser sur les marques tridimensionnelles ayant la forme de produits : dans ce cas, pour être distinctive, la marque doit « diverger de manière significative de la forme qu’attend le consommateur et de la norme ou des habitudes du secteur » (07/10/2004, C-136/02 P, Torches, EU:C:2004:592, § 31).
Pour exprimer explicitement ce que cela suppose dans le cas d’espèce : le service de mannequinat revendiqué dans le dépôt de marque se confond avec l’aspect de la personne représentée dans le dépôt de marque.
On retrouve là l’amalgame initié dans les pièces du déposant, entre le portrait précis qui a été déposé et le physique de la personne que l’on voit sur le portrait. Ce n’est donc pas le bon signe qui est pris en compte.
De façon générale, on trouve dans cette affaire la notion de distance entre le signifiant et le signifié, laquelle est l’essence de la notion de caractère distinctif.
Cette décision rendue au niveau de l’examen (et, depuis, visée par un recours) n’est pas isolée puisqu’il y a une quinzaine de marque avec la même configuration. Voici un point de situation, à fin novembre 2023, d’autres marques de l’Union Européenne qui portent également sur des visages et qui désignent des services de mannequinat en classes 35 et 41. NB : tous les délais de recours ne sont pas entièrement écoulés à l’heure de la mise en ligne de ce billet ; les icônes d’indication d’état sont donc à prendre avec des pincettes.
En bref : la Quatrième Chambre de Recours de l’EUIPO n’est pas hostile à la protection de ce type de marques, contrairement à divers examinateurs.
Marques de l’UE | État | Décisions |
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EUTM n°016503492 du 23/03/2017 | demande rejetée (refus non contesté). | |
EUTM n°017355066 du 23/03/2017 | décision de la 4è chambre de recours du 2 novembre 2023 (rendue en néerlandais ; traduction automatisée en anglais) qui annule la décision de refus et autorise la publication de la demande d’enregistrement. | |
EUTM n°017358458 du 16/10/2017 (Rozanne Verduin) | décision de la 4è chambre de recours du 19 mai 2021, affaire R 378/2021-4 (décision rendue en néerlandais ; traduction automatisée en anglais) qui annule la décision de refus et autorise la publication de la demande d’enregistrement. La marque a été ensuite enregistrée. | |
EUTM n°017393125 du 26/10/2017 (Roos Abels) | décision de la 4è chambre de recours du 30 octobre 2023, affaire R 1266/2023-4 (décision rendue en néerlandais ; traduction automatisée en anglais) qui annule la décision de refus et autorise la publication de la demande d’enregistrement. | |
EUTM n°017899480 du 11/05/2018 (Luna Bijl) | décision de rejet du 6 juin 2023 (rendue en néerlandais, sur la base de l’article 7.1.b), recours engagé le 25 juillet 2023. | |
EUTM n°017953534 du 11/09/2018 | décision de la Chambre de Recours du 19 mai 2021, affaire R0468/2021-4 (décision en néerlandais ; traduction automatisée en anglais) qui annule la décision de refus et autorise la publication de la demande d’enregistrement. | |
EUTM n°017958820 du 18/09/2018 | décision de rejet du 7 juin 2023 (rendue en néerlandais, sur la base de l’article 7.1.b), recours engagé le 12 juillet 2023. | |
EUTM n°017987149 du 18/11/2018 (Doutzen Kroes) | examen en cours | |
EUTM n°018098887 du 24/07/2019 (Romee Strijd) | décision de rejet du 7 juin 2023 (rendue en néerlandais sur la base de l’article 7.1.b). | |
EUTM n°018101943 du 31/07/2019 (Gigi Ringel) | décision de rejet du 8 juin 2023 (rendue en néerlandais sur la base de l’article 7.1.b) | |
EUTM n°018364871 du 28/12/2020 | décision de rejet du 5 juin 2023 (rendue en néerlandais sur la base de l’article 7.1.b) | |
EUTM n°018603131 du 18/11/2021 | décision de rejet du 14 juin 2023 (rendue en néerlandais sur la base de l’article 7.1.b) | |
EUTM n°018640603 du 18/01/2022 | décision de rejet du 14 juin 2023 (rendue en néerlandais, sur la base de l’article 7.1.b), recours engagé le 12 juillet 2023. | |
EUTM n°018864324 du 19/04/2023 (Puck Schrover) | décision de rejet du 15 septembre 2023 (rendue en néerlandais, sur la base de l’article 7.1.b), recours engagé le 27 octobre 2023. |
Par ailleurs et comme on l’a déjà souligné, la tendance à déposer des marques constituées de portraits photographiques n’est pas nouvelle (voir par exemple ces « pères sévères« ).
Et finalement, ce n’est pas très étonnant : mettre sa trombine sur son produit et en faire sa marque de fabrique, c’est une façon de le signer, exactement comme de très nombreuses marques sont constituées par le nom patronymique du dirigeant ou du fondateur de l’entreprise.
Voici de nouvelles preuves qui illustrent ce fait. A ces quelques portraits de personnages divers et variés, on ajoutera, pour faire bonne mesure, des photos de personnages sous forme de statues (dont une semble figurer un cas d’hirsutisme, tendance dadaïste).
MàJ : voir cet intéressant post de Me J. Tassi concernant une décision relative au portrait d’une joueuse de fléchettes célèbre : https://www.linkedin.com/posts/jerometassi_portrait-marque-sport-activity-7173225642782625793-RYbT?utm_source=share&utm_medium=member_desktop