Les marques constituées par un portrait sont une vieille marotte du pMdM. Nous avions déjà repéré des marques constituées de portraits de Robert Pires, de Lolo Ferrari, d’André Rieu ou encore de Christian Benteke. Il avait également été question de la validité des marques constituées par le portrait de Ché Guevara ou par une photo de la tête de Barbie.
Dans la lignée d’aussi illustres prédécesseurs, une vague de dépôts de photographies de visages de mannequins néerlandais a récemment déferlé sur l’EUIPO. Sa 4ème Chambre de Recours a ainsi eu l’occasion de rendre une décision qui considère que la marque suivante est parfaitement valable.
Le signe est constitué d’une photographie du visage de Maartje Verhoef, déposante initiale de cette marque. Les produits et services visés relèvent des classes 3, 9, 14, 16, 18, 25, 35, 41, 42, 44.
L’examinateur a rejeté la demande de marque en retenant schématiquement les points suivants (résumés depuis la traduction du résumé donné par la Chambre de Recours) :
- Le signe en question n’a aucune caractéristique susceptible « d’influencer la mémoire » des consommateurs au point qu’ils soient en mesure de distinguer les produits et services en cause de ceux provenant d’une autre source. La marque n’est autre qu’une photo et les photos sont des modes de présentation des produits et services. Cette forme de présentation ne diffère pas de façon substantielle d’autres représentations fidèles de visages féminins et n’en est qu’une variation.
- Les consommateurs ne verront dans cette image que le portrait d’une jeune femme et pas nécessairement celui de Maartje Verhoef.
- Le signe est descriptif de la destination des produits, à savoir une clientèle féminine.
- En ce qui concerne les services, la marque représente le mannequin concerné par ces services ou, pour les services de la classe 44, la personne qui fournit ces services. Ce signe ne peut pas exercer la fonction essentielle de la marque. Il existe un nombre incalculable de photos de visages de femmes dans tous domaines.
- Les preuves fournies lors de la phase d’examen ne sont pas convaincantes.
La Chambre de Recours adopte une solution inverse et infirme la décision de l’examinateur.
Elle retient schématiquement les considérations suivantes.
Sur le caractère descriptif (article 7(1)(c)) :
- La photographie en question est celle d’un individu unique, au format photo d’identité.
- L’utilisation du visage d’une personne masculine ou féminine en relation avec des produits n’est pas nécessairement perçue par le public comme une indication du genre du public auquel les produits sont destinés. La Chambre de Recours en veut pour preuve le fait que le portrait d’Antonio Banderas puisse être apposé sur des parfums aussi bien masculins que féminins.
- À l’inverse, l’argument de l’examinateur selon lequel l’image représenterait uniquement la personne fournissant les services des classes 35, 41 et 42 indique précisément que ce signe permet de distinguer l’origine commerciale des produits.
Quant au fait que la marque puisse être dépourvue de caractère distinctif (article 7(1)(b)) :
- La Chambre de Recours énonce le principe dégagé dans les arrêts Linde, Henkel et Libertel selon lesquels les critères d’appréciation du caractère distinctif sont les mêmes pour tous les types de marques, mais […subtil glissement qui permet d’aboutir à la solution exactement inverse…] que leur mise en œuvre peut conduire à ce que la perception par le public pertinent n’est pas nécessairement la même pour toutes les catégories de signes et qu’il peut donc s’avérer plus difficile d’établir le caractère distinctif de certaines catégories de signes.
- La Chambre de Recours considère que le signe en question, qui consiste en effet en une représentation réaliste de la tête / du visage d’une femme, représentée « en couleurs ordinaires » et sur un fond commun, permet au public d’identifier l’origine commerciale des produits et services concernés, et en particulier une origine commerciale émanant de la personne spécifiquement représentée.
- Après tout, la « représentation réaliste » d’une personne n’a rien à voir avec l’apparence des produits en question.
- Enfin une « photo du visage d’une personne, sous la forme d’une photo d’identité, est une représentation unique de cette personne, y compris ses caractéristiques externes spécifiques. Outre les éléments incluant le prénom et le nom de famille d’une personne, la représentation du visage d’une personne sous la forme d’une photo d’identité permet d’identifier cette personne et donc de la distinguer des autres. De l’avis de la Chambre de Recours, le signe en cause est donc susceptible de remplir la fonction essentielle d’une marque, à savoir la distinction entre les produits et les services pour lesquels l’enregistrement est demandé de ceux dont l’origine est différente.«
La décision de l’examinateur est annulée et la marque devrait donc passer à l’enregistrement.
S’agit-il pour autant de la consécration des marques constituées d’une photo d’identité (après tout, en introduction, comme en conclusion sont cités des précédents) ? Si l’on se souvient de Bang & Olufsen et que l’on a à l’esprit les questions préjudicielles actuellement posées au sujet de la fameuse marque de Louboutin, peut être faudra-t-il aussi un jour statuer sur l’hypothèse selon laquelle ce type de photo confèrerait à une marque sa valeur substantielle.
Pour l’heure, la Quatrième Chambre de Recours, Maartje Verhoef et ses Conseils ont allumé une lueur dans les yeux d’autres titulaires de demandes de marques de l’Union Européenne analogues, déposées en couleur :
L’espoir est effectivement permis. Sur le registre de l’EUIPO figurent déjà des enregistrements portant par exemple sur ces photographies de personnes plus ou moins souriantes :
Précisons enfin qu’Ed Timberlake a également signalé l’enregistrement aux USA de marques constituées du portrait de Julia Bergshoeff, de celui de Maartje Verhoef et de ses consœurs.
Cette tendance permettrait d’envisager de sécuriser le droit à l’image par des titres de propriété industrielle.
Références :
DECISION of the Fourth Board of Appeal of 16 November 2017 In Case R 2063/2016-4, Giraffen houden van Wodka B.V.
(rendue en néerlandais et traduite ici en anglais)