Les mains sont une des parties du corps parmi les plus expressives. Elles véhiculent à elles seules quantités de significations, déterminées par la position, le replis ou le croisement des doigts, l’orientation des mains ou encore la façon dont elles se serrent mutuellement.
Pour illustrer cette idée, on peut commencer avec ce qui peut paraitre comme un cliché : les italiens parlent avec leurs mains (blog Assimil, 10 octobre 2017). On sait par ailleurs que les orateurs qui gesticulent peuvent être perçus de façon plus positive (The Fascinating Science Behind ‘Talking’ With Your Hands,Hufftington Post), au point que les politiques travaillent énormément cette forme de discours non verbal. A Los Angeles, les gangs ont commencé à utiliser des signes de la main très codifiés dans les années 1980, notamment pour saluer, identifier, confirmer l’affiliation ou provoquer les gangs rivaux (In the 1980s, gang signs were the secret visual language of the streets, 15 février 2017, Timeline). Enfin, les langues des signes reposent sur une succession de gestes codés ; les gestes des mains y sont prépondérants, mais en réalité c’est un ensemble de mouvements du corps et d’expressions du visage qui sont utilisés.
Il n’est donc pas très étonnant de voir le domaine des marques, royaume du signe, faire un usage important de représentations de mains en diverses positions.
Nous avons ici une large collection de ce que, plus tard, la Classification de Vienne a rangé sous les numéros 2.9.14 et 2.9.18 : des mains et des poings. Comme la structure de la Classification de Vienne comporte une particularité consistant en des section auxiliaires, qui se trouvent rattachées à l’une ou l’autre des sous-classes, nous avons aussi, parmi les sections auxiliaires de la division 2.9 (associées à la section principale 2.9.14) : « 2.9.15 Mains de face (paume ou revers), 2.9.16 Poignées de mains, 2.9.17 Empreintes de mains ou de doigts » ou encore « 2.9.20 Pouce levé ou pouce baissé ». En juin 2022, la base de données de l’INPI répertorie environ 8800 marques avec une main comme élément figuratif (classe 2.9.14).
Parmi la petite cinquantaine de marques rassemblées ici, se cache un intrus : une marque qui porte sur l’expression « Main (dessin) ». Sommes-nous face à ce que la marque était réellement (une marque nominale) ou bien face à l’expression d’une intention bien mal réalisée (et semblable à des erreurs qui se sont perpétuées) ?
On trouve également dans cette collection, un célèbre logo, celui de la coutellerie Opinel. Le titulaire de la marque en explique l’origine et la signification sur son site :
1909 La Main Couronnée
En 1565 le roi de France Charles IX ordonne que chaque maître coutelier appose un emblème sur ses fabrications pour en garantir l’origine et la qualité. En 1909, respectant cette tradition, Joseph Opinel choisit pour emblème La Main Couronnée. La main bénissante est celle de Saint Jean-Baptiste figurant sur les armoiries de Saint-Jean-de-Maurienne, la ville la plus proche d’Albiez-le-Vieux, berceau de la famille Opinel. Joseph Opinel ajoute une couronne pour rappeler que la Savoie était un duché. Depuis, toutes les lames des couteaux et outils Opinel sont poinçonnées de La Main Couronnée.
https://www.opinel.com/la-marque/histoire#story-1800
Tous les dessins de mains ne peuvent pas constituer des marques valables.
En 2006, nous avions relevé un dépôt de marque française comportant le dessin d’une main menottée et au majeur relevé, ainsi que la dénomination « sarko ». Elle avait été déposée en 2003 mais n’a pas été enregistrée, ce qui laissait supposer un refus de l’Institut. Atteinte à l’ordre public ou aux bonnes mœurs ?
Aux États-Unis, une tentative de monopolisation à titre de marque de la représentation d’un geste a également fait long feu : Gene Simmons, le célèbre bassiste de Kiss, après avoir déposé un dessin de « devil horns » à l’USPTO fut conspué et il retira sa demande.
Toujours aux Etats-Unis, le dessin d’une main hurlante (Screaming Hand) réalisé par Jim Philips pour Santa Cruz est devenue l’une des icônes les plus connues du monde du skate board. (voir : Celebrate 30 years of the Screaming Hand, Santa Cruz blog ; The story of of Jim Philips’ Screaming Hand, Surfer Today 11 février 2021).
Créé en 1985, ce graphisme a marqué la pop culture. Il a continuellement été décliné, imité, parodié et continue à avoir un très fort impact visuel permettant d’écouler divers produits dérivés. Alors que ce visuel est protégé comme marque (cf enregistrement aux USA ci-dessus), on peut très raisonnablement considérer qu’il s’agit d’une œuvre protégée par le droit d’auteur. Sans que cela ne suffise (à mes yeux) à remettre en cause l’originalité de cette œuvre, on peut noter qu’une antériorité (The Weird World of Bill Alexander) présentait une main aux doigts crispés et dans la paume de laquelle une bouche grande ouverte laissait voir la langue ainsi que des dents prêtes à mordre.